Planification fiscale et successorale

Don d’actifs à des membres de la famille – partie 3

Don d’actifs à des membres de la famille – partie 3

Nos deux billets précédents traitaient des incidences fiscales des dons aux conjoints et aux enfants adultes. Bien que les incidences fiscales soient importantes, il peut être tout aussi important de garder à l’esprit les considérations non fiscales décrites ci-dessous lorsqu’on fait un don. Comme toujours, veuillez consulter vos conseillers ou d’autres professionnels au sujet de votre situation personnelle.

Planification de l’homologation

L’homologation fait référence au processus d’obtention d’une attestation juridique permettant d’accorder un pouvoir juridique à l’exécuteur testamentaire dans l’administration de la succession. L’exécuteur testamentaire est également appelé « fiduciaire de la succession » en Ontario et « liquidateur » au Québec.

Les frais d’homologation (ou l’impôt) varient selon la province et peuvent représenter une préoccupation importante ou non, selon le taux des frais et l’importance des autres objectifs successoraux pour le testateur (le testateur est la personne qui fait le testament ou le don). En règle générale, les résidents des provinces où les frais d’homologation sont élevés, comme l’Ontario ou la Colombie-Britannique, peuvent vouloir les réduire afin que davantage d’actifs successoraux soient conservés et transmis aux bénéficiaires de la succession.

La réduction des frais d’homologation est principalement associée à la réduction de la valeur des actifs transmis par la succession, car les frais d’homologation sont généralement calculés en fonction de la juste valeur marchande des actifs au décès qui font partie de la succession (bien que certaines provinces aient des frais fixes).

Certaines stratégies courantes de planification de l’homologation comprennent la désignation d’un bénéficiaire pour un régime enregistré et l’ajout d’un cotitulaire sur les actifs non enregistrés dans le cadre d’une tenance conjointe avec droit de survie (non offerte au Québec), dont il est question plus en détail ci-dessous. Ces stratégies permettent de transférer le produit au bénéficiaire désigné ou aux cotitulaires à l’extérieur de la succession, réduisant ainsi la taille de la succession et les frais d’homologation connexes.

Toutefois, la planification de l’homologation peut parfois être exagérée, au point où des objectifs successoraux sans doute plus importants sont négligés, comme la certitude quant à la distribution de la succession et le contrôle des actifs au-delà du décès. Par exemple, l’ajout d’un enfant parmi plusieurs à titre de cotitulaire ou de bénéficiaire pour un régime enregistré peut entraîner une distribution inégale de la succession et créer de la discorde au sein de la famille après le décès.

Exemple

Maria vit en Ontario et a trois enfants adultes, Alfred, Bernard et Catherine. Elle a l’intention de laisser les mêmes avantages à tous ses enfants à son décès. Elle détient 100 000 $ dans son régime enregistré d’épargne-retraite (REER) et son compte de placement non enregistré, respectivement. Le reste de ses actifs vaut environ 100 000 $.

Maria pensait pouvoir réduire les frais d’homologation en désignant Alfred comme bénéficiaire direct du REER et Bernard comme cotitulaire (c.-à-d. tenant conjoint avec droit de survie) de son compte non enregistré. Le reste de ses actifs détenus dans la succession ira à Catherine. Elle doit tenir compte de quelques éléments importants en ce qui a trait à sa stratégie.

Premièrement, on présume que la valeur du REER de Maria est ajoutée à son revenu l’année de son décès et l’impôt qui en découle est payable par sa succession. Bien que d’un point de vue technique, l’obligation fiscale à l’égard de l’inclusion réputée du revenu englobe la succession et le bénéficiaire, c’est la succession qui, en pratique, est principalement responsable de l’impôt. Puisqu’aucune retenue d’impôt n’est exigée à l’égard de la distribution d’un REER au décès, Alfred peut recevoir la totalité du REER en franchise d’impôt, et l’impôt sur le revenu découlant de l’inclusion réputée du REER au revenu serait payé par la succession (et indirectement, par Catherine).

Deuxièmement, Maria est réputée avoir disposé de sa part de propriété dans le compte non enregistré, malgré la disposition relative au droit de survie. Encore une fois, le fardeau fiscal découlant de la disposition présumée est assumé par sa succession (et indirectement, par Catherine). Bernard recevra la totalité du compte à l’extérieur de la succession sans payer d’impôt. (Pour en savoir plus sur les incidences fiscales de l’ajout d’un enfant adulte à titre de cotitulaire, veuillez consulter notre dernier billet.)

Troisièmement, si les autres actifs de Maria doivent être homologués, la valeur totale de sa succession sera incluse dans le calcul des frais d’homologation, qui sont également payables à même les actifs de la succession. La part de Catherine pourrait être considérablement réduite par les impôts, les dettes et les obligations payables par la succession. Les choses peuvent s’aggraver si les autres actifs de la succession de Maria ne sont pas liquides, car il peut être difficile de générer des flux de trésorerie pour payer les frais successoraux.

Il s’agit d’un exemple simplifié illustrant les complications potentielles découlant de l’exécution de stratégies de planification de l’homologation autonomes. Malgré le souhait de Maria de distribuer « également » ses actifs à ses enfants, son intention sera contrariée, ce qui entraînera une distribution inégale. Les conseils professionnels sont extrêmement importants dans ce domaine afin d’éviter les conséquences imprévues du processus de distribution successorale.

Tenance conjointe et tenance commune

Les biens détenus conjointement1 peuvent être détenus en vertu d’une tenance conjointe avec droit de survie ou d’une entente de tenance commune.

Une entente de tenance conjointe avec droit de survie procure à deux personnes ou plus un intérêt à titre de bénéficiaire égal et indivis dans la propriété. Au décès d’une personne, la totalité de l’intérêt du défunt dans la propriété est transférée au propriétaire survivant ou partagée en proportions égales entre les propriétaires survivants s’il y a plus d’un.

Dans le cadre d’une entente de tenance commune, chaque propriétaire peut avoir un intérêt disproportionné dans la propriété. Les propriétaires survivants de la propriété n’ont pas droit à la part de propriété de la personne décédée. La part de propriété de la personne décédée est plutôt transférée à ses héritiers selon les instructions données dans son testament; sinon, elle est distribuée conformément aux lois sur la succession ab intestat dans la province ou le territoire où la personne décédée vivait. Seule l’entente de propriété dans le cadre d’une tenance commune est possible au Québec (la tenance conjointe avec droit de survie entre conjoints n’est pas possible).

Avoir le bon type de propriété conjointe est essentiel à la planification successorale afin de réduire les frais d’homologation, d’éviter les réclamations de créanciers et de s’assurer que le don est transmis au destinataire désiré. En règle générale, dans le cadre d’une véritable entente de tenance conjointe avec droit de survie (dans laquelle les deux cotitulaires ont un droit de propriété égal tant sur le plan légal qu’à titre de bénéficiaires du bien), les actifs échappent à la succession et sont exclus du calcul de l’impôt d’homologation au décès du premier titulaire. Les intérêts du défunt sont transmis au(x) propriétaire(s) survivant(s) à l’extérieur de la succession.

Si un ou plusieurs des propriétaires ne possèdent qu’un titre légal, mais non la propriété bénéficiaire, la présomption de fiducie résultoire de la common law peut s’appliquer (comme expliquée ci-dessous). Nous examinons d’abord brièvement les concepts de propriété légale et bénéficiaire.

Propriété légale et propriété bénéficiaire

La propriété légale et la propriété bénéficiaire sont les deux types de propriété en common law. La propriété légale signifie généralement que le nom d’une personne figure sur le titre de propriété. La propriété bénéficiaire signifie généralement qu’une personne a le droit de jouir de la propriété et de l’utiliser.

Dans la plupart des cas, la propriété légale et la propriété bénéficiaire appartiennent à la même personne. Toutefois, dans certaines situations, la propriété légale et la propriété bénéficiaire peuvent être séparées. Par exemple, dans le cas où le fiduciaire d’une fiducie acquerrait la propriété légale des biens de la fiducie, et que le bénéficiaire de la fiducie posséderait la propriété bénéficiaire.

Il est également possible d’accorder à une personne la propriété légale d’un bien sans lui en donner la propriété bénéficiaire, pour que des enfants adultes puissent être ajoutés à titre de copropriétaires légaux sans avoir droit à la propriété bénéficiaire. Cela a été décrit dans l’exemple de Joseph et Donald figurant dans notre dernier blogue.

La propriété bénéficiaire détermine le résultat en matière d’impôt sur le revenu. Par exemple, lorsqu’un parent ajoute un enfant adulte à son compte de placement conjoint à titre de propriétaire légal seulement (c’est-à-dire que le parent ne transfère pas la propriété bénéficiaire permettant à l’enfant d’utiliser les fonds pour lui-même), il n’y a généralement aucune incidence fiscale immédiate puisqu’il n’y a pas eu de disposition aux fins de l’impôt sur le revenu. Le parent demeure responsable de l’impôt sur l’ensemble du compte de son vivant en tant qu’unique propriétaire bénéficiaire.

Le fait de donner un compte à un enfant adulte sans lui accorder la propriété bénéficiaire comporte certains risques, dont l’un est la présomption de fiducie résultoire de la common law, comme nous l’expliquons ci-dessous.

Présomption d’avancement et présomption de fiducie résultoire

Les présomptions d’avancement et de fiducie qui en découlent n’ont d’incidence sur les distributions successorales que lorsqu’il n’y a pas d’intention claire de don.

La présomption d’avancement a une application limitée, car elle ne s’applique généralement qu’aux biens détenus dans le cadre d’une tenance conjointe avec droit de survie entre conjoints, ainsi qu’à un don d’un parent à un enfant mineur. La présomption de fiducie résultoire s’applique à toutes les autres relations, y compris le transfert à titre gratuit (c’est-à-dire un don) de biens entre un parent et un enfant adulte. 

Par conséquent, la présomption de fiducie résultoire de la common law peut s’appliquer lorsqu’un parent ajoute un enfant adulte à titre de propriétaire légal seulement, mais qu’il n’indique pas clairement son intention de donner le montant à l’enfant au décès du parent. En règle générale, la présomption suppose que si l’enfant adulte est un tenant conjoint n’ayant aucun droit de propriété bénéficiaire sur le bien, il détient le bien en fiducie pour la succession du parent décédé. Autrement dit, les biens détenus conjointement sont considérés comme faisant partie de la succession du parent décédé aux fins de l’homologation et ne seront pas automatiquement transmis à l’extérieur de la succession du parent décédé directement à l’enfant adulte.

En pratique, la présomption s’applique souvent lorsqu’un bénéficiaire de la succession qui ne profite pas de la tenance conjointe tente de « rapatrier le bien » dans la succession afin qu’il puisse recevoir sa part de la valeur du bien. Cela dit, la présomption de fiducie résultoire peut être réfutée en prouvant l’intention du donateur (en l’occurrence, l’intention du parent) de donner les biens au cotitulaire. Le fardeau de la preuve incombe au cotitulaire (ici, l’enfant adulte qui a le titre légal, mais qui n’a pas obtenu la propriété bénéficiaire du bien).

Une façon pour le parent de réduire au minimum les différends futurs concernant la propriété des biens est de rédiger un « document auxiliaire », de préférence avec l’aide d’un avocat. Le document auxiliaire comporte habituellement une déclaration solennelle qui précise l’objectif précis pour lequel l’enfant adulte est ajouté à titre de copropriétaire du bien. Ce document ne garantit pas le résultat de la distribution des biens, mais il confère une plus grande légitimité juridique à l’arrangement si celui-ci est contesté par les bénéficiaires de la succession et dissipe généralement toute incertitude quant aux intentions du parent et à la façon dont les biens devraient être distribués à son décès. Par ailleurs, des instructions claires concernant l’intention de l’entente de propriété conjointe peuvent être laissées directement dans les documents testamentaires du parent. Quoi qu’il en soit, les particuliers devront obtenir des conseils juridiques sur la meilleure façon de mettre en œuvre leur stratégie afin de minimiser les problèmes potentiels à l’avenir.

Pour une analyse plus approfondie de la présomption de fiducie résultoire, veuillez consulter notre bulletin de Succession et fiscalité intitulé Comptes conjoints

Dangers liés à la propriété conjointe

Même si la propriété conjointe peut être un outil de planification successorale efficace, il y a certaines réserves entourant son utilisation.

Premièrement, le parent qui fait le don pourrait perdre le contrôle du bien de son vivant. Même si les enfants sont ajoutés à titre de propriétaires légaux seulement, ils ont généralement la capacité de donner des directives administratives à l’institution financière au sujet de diverses opérations. De plus, il peut être impossible pour le parent de faire des rachats ou d’effectuer certaines opérations sans l’approbation du cotitulaire (l’enfant), selon la façon dont le compte est établi. La collaboration nécessaire des enfants pourrait causer des difficultés administratives inutiles aux parents, surtout si leur relation se détériore par la suite.

Deuxièmement, les biens conjoints pourraient faire l’objet de réclamations de créanciers ou en vertu du droit de la famille de la part de l’enfant, qui est propriétaire des biens détenus conjointement. Les réclamations de créanciers peuvent, par inadvertance, réduire les fonds autrement disponibles pour le parent de son vivant. De même, si l’enfant vit une rupture de mariage, le conjoint de l’enfant pourrait présenter une réclamation à l’égard des biens détenus dans le compte conjoint.

Troisièmement, il n’est pas possible de faire un don familial en cas de décès « contraire à l’ordre des choses ». Par exemple, si un parent ajoute plusieurs enfants à titre de copropriétaires d’un bien, mais qu’il a l’intention de faire transmettre la part de chaque enfant à sa progéniture respective si l’un des enfants décède avant le parent, cela pourrait ne pas être possible au moyen d’une entente de tenance conjointe. Il se pourrait plutôt que la part de l’enfant décédé soit partagée également entre les enfants survivants et ne soit pas versée aux héritiers de l’enfant décédé.

Enfin, lorsque les biens détenus conjointement sont des biens immobiliers, une partie de l’exemption pour résidence principale aux fins de l’impôt sur le revenu peut être perdue. Par exemple, si le parent ajoute un enfant à titre de copropriétaire de la maison du parent et que l’enfant a sa propre résidence, une partie du gain en capital sur la maison du parent pourrait devenir imposable si l’enfant choisit d’utiliser son exonération sur sa propre résidence. En revanche, si le parent conserve la pleine propriété de la maison et ne possède pas une autre résidence principale, le gain en capital réalisé (découlant de la disposition réputée) au décès du parent peut être entièrement protégé.

Cette série d’articles présente certaines incidences générales fiscales et non fiscales liées aux dons et met l’accent sur les biens détenus conjointement, mais ne couvre aucunement toutes les situations ou incidences. Des conseils professionnels relatifs à la situation personnelle de chaque personne sont essentiels à l’élaboration d’un plan successoral efficace.

Notes de bas de page

  • 1

    Conformément au guide T4037 Gains en capital de l’Agence du revenu du Canada (ARC), les exemples courants de biens comprennent des biens immobiliers, des actions, des obligations, des fonds communs de placement, des fonds négociés en bourse (FNB) ou des terrains, des bâtiments et de l’équipement utilisés dans le cadre d’une entreprise ou d’une activité de location.