On se croirait revenu à la fin des années 80. Non pas parce que je porte des baskets Reebok, des jeans Guess et des vestes Esprit ou que j’écoute Men at Work et Yes, mais parce que l’économie japonaise suscite beaucoup d’enthousiasme et que les marchés boursiers japonais ont fortement progressé au cours de la dernière année.1
Assistons-nous à une tendance éphémère ou à l’amorce d’une « renaissance japonaise »?
L'économie et les marchés boursiers japonais ont certes bénéficié des mesures de relance budgétaire et monétaire énergiques adoptées pendant la pandémie. Cependant, à mon avis, les bases ont été jetées il y a des années dans le cadre des politiques « Abenomiques », plan économique ambitieux mis sur pied il y a plus de dix ans par le défunt premier ministre Shinzo Abe.
Les « trois flèches » des politiques Abenomiques
Les politiques «Abenomiques» ont été conçues pour sortir l’économie japonaise d’une période de stagnation qui durait depuis des décennies. Le plan comportait trois initiatives clés, connues sous le nom de « trois flèches » :
- Relance budgétaire
- Politique monétaire très accommodante
- Réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité et la croissance économiques.
Ce plan était considéré comme une puissante combinaison de mesures susceptibles de permettre à l'économie japonaise d'éviter la déflation grâce à des mesures de relance monétaire et budgétaire, accompagnées de réformes structurelles destinées à améliorer la confiance et à rendre la croissance économique durable à plus long terme.
- La première flèche, celle de la relance budgétaire, se limitait à des dépenses publiques à partir de 2013. Il s’agissait notamment d’un vaste plan de dépenses en infrastructures, suivi peu après d’un plan de relance budgétaire additionnel.
- La deuxième flèche, celle de la politique monétaire très accommodante comprenait non seulement des taux d’intérêt extrêmement bas, mais aussi des achats d’actifs à grande échelle. Au Japon, les achats d'actifs à grande échelle ne se limitaient pas seulement à des mesures d’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire que la Banque du Japon achetait des obligations d'État japonaises, ils comportaient aussi des mesures d’assouplissement qualitatif, en ce sens que la Banque du Japon investissait dans des actifs risqués tels que des fonds négociés en bourse d'actions japonaises. L'un des objectifs de cette flèche était d'inciter la population japonaise plus âgée à investir plutôt qu'à conserver ses actifs dans des comptes bancaires. Un autre objectif de cette flèche était d'affaiblir le yen et de soutenir la croissance des exportations.
- La troisième flèche, celle de la réforme économique structurelle, se compose d’un ensemble de politiques fragmentaires visant à augmenter la taille de la main-d’œuvre, à alléger la réglementation des entreprises et, d’une manière générale, à rendre l’économie japonaise plus compétitive. Il s’agissait notamment d’une réforme de la gouvernance d’entreprise lancée en 2014 destinée à améliorer l’efficacité du capital des entreprises. Cette réforme comportait aussi des politiques visant à encourager davantage de femmes à retourner sur le marché du travail et à inciter les entreprises à augmenter les salaires de leurs employés.
Comment la vision de Shinzo Abe a influencé le Japon d'aujourd'hui
Revenons à aujourd’hui. Je crois qu'on peut affirmer que les réformes structurelles de Shinzo Abe commencent à donner des résultats. Les shunto, ou négociations salariales du printemps, ont donné de meilleurs résultats que prévu. Le plus grand groupe syndical du Japon, Rengo, et les entreprises se sont entendus sur une augmentation des salaires de 5,28 %, ce qui est beaucoup plus élevé que l’augmentation de 3,8 % de l’année dernière et est même supérieur à l’augmentation de 4,1 % attendue par des économistes interrogés lors d’un récent sondage d’opinion de Bloomberg.2
L’efficacité du capital des sociétés cotées à la Bourse de Tokyo s’est améliorée grâce à la réforme de la gouvernance d’entreprise lancée il y a dix ans, et la Bourse de Tokyo s’efforce d’en faire encore plus. Qui plus est, le Japon continue de soutenir deux des trois flèches de Shinzo Abe : l’actuel premier ministre, Fumio Kishida, a mis en place des mesures de relance budgétaire additionnelles et substantielles et continue de soutenir les réformes structurelles. M. Kishida a récemment assoupli la réglementation et optimisé les pratiques commerciales, notamment en permettant aux investisseurs étrangers de remplir les formulaires gouvernementaux en anglais, afin d’attirer davantage les investissements nationaux et étrangers.
Trois raisons pour lesquelles la croissance des actions japonaises pourrait se poursuivre
Certains affirment que la forte hausse des marchés boursiers japonais au cours de la dernière année reflète toutes les améliorations apportées à l'économie du pays. Personnellement, je dirais qu'il y a d'autres raisons qui pourraient faire grimper davantage les cours boursiers japonais.
- Valorisations attrayantes. Tout d’abord, malgré une forte remontée au cours de la dernière année, les marchés boursiers japonais demeurent attrayants. La valorisation de l’indice MSCI Japon reste faible avec un ratio cours-bénéfice (C-B) de 16,35 fois par rapport à d’autres grands indices tels que l’indice S&P 500, qui se négocie à 22,93 fois les bénéfices.3 De plus, le rendement en dividendes de l’indice MSCI Japon est de 1,99 %, ce qui est largement supérieur à celui d’autres grands indices tels que l’indice S&P 500, dont le rendement en dividendes s’élève à 1,4 %.3
- Liquidités non investies. Deuxièmement, il y a beaucoup de liquidités en réserve au Japon. Les dépôts en espèces représentent 52,5 % des actifs financiers des ménages japonais, contre seulement 12,5 % aux États-Unis et 35,5 % dans la zone euro; il n’est donc pas surprenant que les ménages des États-Unis et de la zone euro investissent davantage dans les actions.4 Le catalyseur du transfert de liquidités vers les actions pourrait être le nouveau NISA (Nippon Individual Savings Account), régime d’épargne exonéré d’impôt lancé en janvier, qui vise à inciter les ménages japonais à transférer de l’argent des dépôts bancaires vers les marchés boursiers.
- Normalisation de la politique monétaire. Enfin, la décision de la Banque du Japon de normaliser graduellement sa politique monétaire pourrait aussi avoir un impact positif lorsqu’elle entrera en vigueur. Cette mesure devrait raviver la confiance; la première hausse des taux en 17 ans enverrait un message fort pour indiquer que l’économie japonaise n’a plus besoin d’autant de soutien, car elle se porte mieux et devrait continuer à s’améliorer. En outre, la normalisation de la politique monétaire devrait entraîner une appréciation du yen japonais, ce qui pourrait également soutenir les marchés boursiers japonais. Cela pourrait attirer les investisseurs étrangers qui ont été rebutés par la dépréciation du yen, qui a annulé une grande partie des rendements des actions japonaises pour les investisseurs étrangers au cours de la dernière année.
En décembre, mon collègue Daiji Ozawa, chef des placements et responsable des actions japonaises, a vu juste en disant que l’indice Nikkei 225 dépasserait son précédent sommet, atteint en 1989. Selon lui, si la croissance soutenue du produit intérieur brut nominal est étayée par la normalisation prudente de la politique monétaire de la Banque du Japon et des réformes gouvernementales visant à améliorer l’ensemble de la chaîne d’investissement, les marchés boursiers japonais devraient continuer à obtenir de bons rendements. Je suis tout à fait d’accord avec son analyse de la situation et je m’attends à d’autres avancées de l’économie et des marchés boursiers japonais.
Dates à surveiller
Tous les regards seront tournés vers les banques centrales cette semaine, en particulier la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine. Elles sont toutes sur le point de modifier leur politique monétaire respective, mais je crois que la Banque du Japon sera la première à amorcer la normalisation de sa politique monétaire soit cette semaine, soit en avril, car les négociations de Shunto devraient rassurer la Banque du Japon, à savoir qu’elle a intérêt à normaliser sa politique monétaire plus tôt que tard.
Enfin, cette semaine, nous devrions obtenir de précieuses indications sur la date à laquelle la Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre commenceront à réduire leurs taux, à la lumière des plus récentes données, dont certaines sont surprenantes. J’ai surtout hâte de voir le « dot plot » de la Fed, car la rumeur veut qu’il signale seulement deux baisses de taux cette année. Ne vous inquiétez pas si c’est le cas. Comme je l’ai déjà dit, ce graphique est parfois très imprécis; il suffit de regarder celui de décembre 2021 pour le constater et se rassurer.