Marchés et économie

Des revirements électoraux et économiques

La tour Eiffel avec le drapeau français au premier plan.
Points importants à retenir
Élections françaises
1

L’extrême gauche a remporté le deuxième tour des élections législatives, après que l’extrême droite soit arrivée en tête au premier tour.

Élections au Royaume-Uni
2

Le Parti travailliste a plus que doublé ses sièges à la Chambre des communes et Sir Keir Starmer est le nouveau premier ministre.

Nouvelles économiques
3

Les économies des États-Unis, du Canada et de la zone euro, qui s’étaient montrées résilientes, ont montré des signes de ralentissement.

Si je devais choisir un titre pour résumer les principales manchettes de la semaine dernière, ce serait « revirement de situation ». En France, l’extrême gauche a remporté le plus grand nombre de sièges au deuxième tour de l’élection législative, alors que l’extrême droite avait obtenu le plus grand nombre de votes à peine une semaine avant. Au Royaume-Uni, le Parti travailliste a plus que doublé ses sièges à la Chambre des communes. Sur le plan économique, les économies qui avaient fait preuve de résilience ont montré des signes de ralentissement à différents degrés, un indicateur que les banques centrales devraient tenir en compte dans leurs prochaines décisions en matière de taux d’intérêt.

La France a évité un virage à droite, du moins pour l’instant

Les résultats du deuxième tour des élections législatives qui s’est tenu le 7 juillet en France ont été une surprise. L’alliance d’extrême gauche Nouveau Front populaire (NFP) a remporté le plus grand nombre de sièges (182), le parti centriste du président Emmanuel Macron, Ensemble, s’est classé au deuxième rang (163) et le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, à l’extrême droite, est arrivé troisième (143).1 Tout cela alors que le Rassemblement national avait remporté le plus grand nombre de votes au premier tour, il y a à peine une semaine.

Ce revirement de situation a certainement été favorisé par l’entente entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, le chef de l’alliance NFP, demandant aux candidats qui se sont classés en troisième position dans les circonscriptions où le RN est arrivé en tête de démissionner, de sorte à regrouper les votes anti-RN autour d’un seul candidat dans chaque circonscription.

En l’absence d’une majorité absolue, l’avenir du gouvernement est incertain. L’Assemblée nationale est désormais divisée en trois blocs, parmi lesquels celui de l’extrême gauche est le plus important. Au centre, les Macronistes forment le deuxième bloc le plus important, mais ils sont loin d’être majoritaires et il est donc peu probable qu’ils puissent mener la valse politique. L’extrême droite arrive derrière, mais en s’alliant à la droite centrale, elle offre à la droite politique une représentation importante au Parlement. 

En évaluant le premier tour des élections la semaine dernière, nous avons envisagé trois scénarios possibles : une majorité d’extrême droite, une majorité d’extrême gauche et une solution temporaire. Il faut garder à l’esprit qu’aucune autre élection ne peut être tenue avant au moins 12 mois. Ce nouveau Parlement devra donc former un gouvernement. En l’absence d’une majorité, et comme aucune minorité au gouvernement n’a assez de sièges pour fonctionner, nous pensons qu’une coalition ou qu’un autre type de solution administrative se formera, comme un gouvernement technocratique ou un cabinet de continuité. Le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé sa démission, mais le président Macron l’a refusée et lui a demandé de rester temporairement au pouvoir pour assurer la continuité de l’État.

Implications en matière de placement

Que peut signifier ce résultat pour les investisseurs? D’une part, en évitant une majorité du RN, la France s’est épargnée des tensions avec l’Union européenne (UE), qui auraient pu nuire aux marchés. D’autre part, l’incertitude persiste, du moins à court terme, ce qui peut également peser sur les marchés. Quel que soit le gouvernement qui se formera, il est peu probable qu’il soit en mesure de gouverner avec une politique ferme, étant donné les désaccords sur de nombreuses questions. Une forme de solution administrative sera donc possiblement nécessaire.

De notre opinion, l’effet sur les marchés est une déstabilisation un peu pire qu’avant l’annonce des élections anticipées, car celles-ci ont cristallisé la faiblesse déjà existante du courant dominant centriste, ainsi que les risques d’extrémisation politique à gauche comme à droite. L’Union européenne et la France pourraient se retrouver entravées à un moment où elles ont toutes deux besoin de se montrer plus puissantes et actives, ce qui pourrait se traduire par un regain d’instabilité politique à l’avenir. Nous pourrions même assister à la formation et à la dissolution de plusieurs gouvernements au cours de la prochaine année. Cela pourrait entraîner une plus grande volatilité des marchés.

Toutefois, il semble que pour l’instant, les marchés sont soulagés de l’absence de résultats extrêmes et ont adopté une posture d’attente : ils devront peut-être attendre jusqu’en septembre pour voir quel type de gouvernement sera formé.

Le Royaume-Uni vire à gauche avec une victoire du Parti travailliste

L’un des principaux éléments à retenir de l’élection du 4 juillet au Royaume-Uni2 est qu’elle a marqué un revirement de situation important en faveur du Parti travailliste, qui a considérablement augmenté sa représentation à la Chambre des communes de plus de 200 sièges, pour un total de 412 sièges, et a porté Sir Keir Starmer à la tête du gouvernement du Royaume-Uni pour les cinq prochaines années. C’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que le gouvernement du Royaume-Uni passe d’une majorité importante et stable d’un parti politique à ce qui promet d’être une majorité importante et stable d’un autre parti. Il s’agit d’un renversement de situation aussi radical que remarquable.

Il convient de souligner également que tout se joue dans les détails. Avec le système de vote du Royaume-Uni, la proportion de sièges au Parlement peut différer considérablement de la proportion des votes factuels. Par exemple, lors de cette victoire électorale, les travaillistes n’ont récolté que 34 % des votes nationaux, alors qu’ils en avaient totalisé 40 % lors d’une défaite électorale précédente. Les scores des petits partis renvoient le même message. Le Parti libéral-démocrate centriste a largement dépassé les prévisions, obtenant 72 sièges, soit un gain de 64 sièges. Le nouveau Parti réformiste britannique, créé par Nigel Farage, premier dirigeant du Brexit, a remporté 14 % du vote national. Même si cela se traduit par seulement cinq sièges, la part importante des votes sera probablement prise en compte dans la politique, en particulier en ce qui concerne les relations avec l’UE.

Un troisième point important à retenir est que l’élection a probablement renforcé l’intégrité du Royaume-Uni après le Brexit, qui avait été soutenu par la majorité en Angleterre, mais fortement contesté par la majorité des électeurs en Écosse et en Irlande du Nord. Le Parti national écossais n’a remporté que neuf sièges, ce qui est nettement moins que les 48 qu’il avait remportés aux élections de 2019. Cela est probablement dû aux allégations de corruption au sein du parti, mais met dans les faits en veilleuse un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Cette question de l’indépendance pourrait toucher l’Irlande du Nord, mais le nouveau premier ministre a déclaré qu’un référendum sur l’unité irlandaise n’était pas prévu.

Implications en matière de placement

Nous croyons que les résultats de l’élection laissent entrevoir des changements graduels, progressifs et limités. Ce scrutin a été marqué par deux éléments cruciaux, le rejet du radicalisme et le vote de protestation, qui impliquent que le Parti travailliste ne peut pas se permettre de prendre des risques importants s’il souhaite renforcer ses chances de réélection aux prochaines élections (probablement dans cinq ans).

La bonne nouvelle pour les marchés est que le Parti travailliste devrait respecter ses engagements électoraux de ne pas modifier significativement le régime fiscal, de mettre en œuvre des plans favorables aux entreprises et de respecter les principes clés de la politique étrangère du Royaume-Uni (des relations spéciales avec les États-Unis et un partenariat solide avec l’OTAN, l’Ukraine et d’autres alliés, en particulier en Europe). En revanche, nous ne prévoyons qu’une amélioration limitée de la relation économique avec l’UE, avec une certaine harmonisation des règles, mais sans adhésion à un marché unique ou à une union douanière (une possibilité que le nouveau premier ministre a déjà écartée).

Nous nous attendons à ce que les marchés continuent d’accueillir favorablement le retour à la stabilité politique et au centrisme, ce qui pourrait réduire la volatilité macroéconomique et améliorer quelque peu la prime de risque souverain des actifs britanniques. De notre avis, tout cela se traduira probablement plus précisément par une livre sterling un peu plus solide, par des taux des obligations d’État légèrement plus bas et par une modeste réduction de la prime de risque des actions.

Nous pensons également que ce résultat électoral n’aura que peu ou pas d’incidence sur les plans de réduction des taux de la Banque d’Angleterre ou sur les attentes du marché à cet égard, principalement parce que la banque centrale et les marchés se concentreront sur la dynamique de l’inflation, plutôt que de se soucier du type de changements budgétaires ou réglementaires majeurs, tels que ceux observés sous trois des cinq derniers premiers ministres conservateurs.

Selon nous, les actifs du Royaume-Uni sont une bonne valeur, et cela depuis un certain temps. D’après plusieurs paramètres, les actions britanniques se négocient à des ratios intéressants par rapport aux sociétés similaires d’autres marchés développés et par rapport à leurs propres données historiques.3

L’économie américaine ralentit

D’autres données publiées la semaine dernière indiquent un ralentissement de l’économie américaine.

Du côté des données sur l’emploi4:

  • Le rapport sur l’emploi de juin révèle une hausse continue du taux de chômage, qui s’établit désormais à 4,1 %, contre 3,7 % en janvier.
  • Bien que la masse salariale ait été plus élevée que prévu en juin, une grande partie des gains est attribuable aux emplois gouvernementaux. De plus, des révisions à la baisse très importantes ont été observées au cours des deux mois précédents. 
  • À mon avis, le facteur le plus important pour la Réserve fédérale est la croissance des salaires. La croissance moyenne du salaire horaire a continué de diminuer. Elle se situe actuellement à 3,9 % sur 12 mois, soit une nette amélioration par rapport à 4,35 % en janvier.

Outre les données sur l’emploi, les plus récentes données de l’indice ISM des directeurs d’achats ont été décevantes5:

  • En juin, l’indice ISM des directeurs d’achats du secteur des services s’est établi à 48,8, ce qui est nettement inférieur aux attentes et représente une baisse importante par rapport à 53,8 en mai. L’indice des nouvelles commandes est descendu à 47,3, son premier repli depuis décembre 2022, et le sous-indice de l’emploi a touché un creux de 46,1. 
  • En juin, l’indice ISM des directeurs d’achats du secteur manufacturier s’est établi à 48,5, après trois mois consécutifs de contraction.

Tout ceci devrait selon moi encourager une réduction de taux de la Fed au troisième trimestre. Les marchés semblent du même avis, car les actions et les obligations ont bien réagi à ces données. Ces « mauvaises nouvelles » n’en sont donc pas pour les marchés, pour une bonne raison.

D’autres économies ralentissent également de façon rapide.

Les données récentes ont également révélé un ralentissement de l’économie canadienne. Le taux de chômage a augmenté en juin pour s’établir à 6,4 %, et une perte inattendue de 1 400 emplois a été enregistrée, alors que l’on s’attendait à des gains importants d’emplois.6 Même si la croissance des salaires a augmenté jusqu’à atteindre 5,6 % sur 12 mois,6 à mon avis, cela ne dissuadera pas la Banque du Canada de réduire de nouveau les taux prochainement, peut-être même dès juillet. 

Les données de la zone euro se sont également quelque peu détériorées. L’indice composé des directeurs d’achats de la zone euro s’est établi à 50,9 en juin (contre 52,2 en mai), tandis que l’indice des directeurs d’achats du secteur manufacturier est descendu à 45,8 (contre 47,3 en mai).7 Bien que solide, l’indice PMI des services de la zone euro a légèrement reculé en juin par rapport à mai. La Banque centrale européenne (BCE) n’agira probablement pas aussi rapidement que la Banque du Canada. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a clairement indiqué que la banque centrale ne se dépêchera pas de réduire à nouveau ses taux. Elle a insisté sur le fait que « la dépendance aux données ne signifie pas la dépendance à un point de données »8 et je suis d’avis qu’il lui faudra des arguments bien plus convaincants pour qu’elle baisse à nouveau les taux.

Conclusion

En résumé, les dernières élections ont montré que d’importants revirements de situation peuvent se produire, que ce soit au fil des ans ou au cours d’une semaine. Les banques centrales doivent garder à l’esprit la possibilité de revirements soudains de leur conjoncture économique. Après tout, des économies qui ont jusqu’ici fait preuve de résilience peuvent basculer rapidement dans l’autre sens, surtout sous la pression des taux élevés. J’ai bon espoir que les fissures apparaissant dans différentes économies ne passent pas inaperçues des banques centrales, et que ces dernières agiront de façon appropriée, c’est-à-dire assez rapidement pour éviter un ralentissement économique important. Cela devrait favoriser les actifs risqués.

Que nous réserve l’avenir?

Tous les regards seront tournés vers l’indice des prix à la consommation des États-Unis cette semaine. Les données préliminaires sur les prévisions d’inflation à la consommation de l’Université du Michigan devraient également avoir leur importance, car la Fed observera avec un peu de chance un ensemble varié de données indiquant que l’inflation ne devrait plus être sa principale préoccupation.

Avec les contributions de Paul Jackson, Arnab Das et Emma McHugh

Date Événement Ce que cela nous indique
8 juillet Indice Sentix de confiance des investisseurs de la zone euro  Suit les prévisions économiques pour la zone euro pour les six prochains mois
  Crédit à la consommation aux États-Unis Mesure la majeure partie du crédit accordé aux particuliers, à l’exclusion des prêts garantis par des biens immobiliers
  Attentes d’inflation des consommateurs américains (Conference Board) Suit les attentes des consommateurs à l’égard de l’inflation aux États-Unis
9 juillet Indice des prix à la consommation du Mexique Fait le suivi de la trajectoire de l’inflation
  Indice des prix à la production du Japon Mesure la variation des prix payés aux producteurs de biens et de services
  Indice des prix à la consommation de la Chine Fait le suivi de la trajectoire de l’inflation
  Décision de politique monétaire de la Banque de réserve de Nouvelle-Zélande Présente la plus récente décision sur la trajectoire des taux d’intérêt

10 juillet

Rapport mensuel de l’OPEP Analyse les principaux événements ayant une incidence sur les tendances du marché mondial du pétrole
  Indice des prix à la consommation du Brésil Fait le suivi de la trajectoire de l’inflation
  Témoignage de Humphrey-Hawkins du président de la Fed, M. Powell Donne de plus amples renseignements sur le processus décisionnel de la Banque centrale
  Discussion de politique monétaire de la Banque de Corée Donne de plus amples renseignements sur le processus décisionnel de la Banque centrale
11 juillet Produit intérieur brut du Royaume-Uni Mesure l’activité économique d’une région
  Production industrielle britannique Indique la santé économique du secteur industriel
  Nouveaux prêts en Chine Mesure la valeur totale des prêts bancaires en cours accordés aux consommateurs et aux entreprises
  Indice des prix à la consommation de l’Allemagne Fait le suivi de la trajectoire de l’inflation.
  Enquête sur les conditions de crédit de la Banque d’Angleterre Analyse les tendances et les évolutions des conditions de crédit
  Indice des prix à la consommation aux É.-U. Fait le suivi de la trajectoire de l’inflation
  Balance commerciale de la Chine Mesure la différence de valeur entre les biens et services importés et exportés
12 juillet Production industrielle du Japon Indique la santé économique du secteur industriel
  Indice des prix à la consommation de l’Inde Fait le suivi de la trajectoire de l’inflation
  Indice des prix à la production aux É.-U. Mesure la variation des prix payés aux producteurs de biens et de services
  Prévisions d’inflation à la consommation de l’Université du Michigan (données préliminaires) Évalue les attentes des consommateurs américains quant à la trajectoire de l’inflation.
  Indice de confiance des consommateurs de l’Université du Michigan Évalue les attentes des consommateurs américains quant à l’économie et à leurs dépenses personnelles.

Notes de bas de page

  • 1

    Source des résultats des élections françaises : CNN, 8 juillet 2024

  • 2

    Source pour tous les résultats des élections au Royaume-Uni : CNN, 8 juillet 2024

  • 3

    Source : MSCI, 30 juin 2024. Le ratio cours/bénéfice de l’indice MSCI Royaume-Uni s’est établi à 11,33, comparativement à 17,41 pour l’indice MSCI Monde tous pays. Les rendements passés ne garantissent pas les rendements futurs. Il est impossible d’investir directement dans un indice.

  • 4

    Source : US Bureau of Labor Statistics, 5 juillet 2024

  • 5

    Source : Institute for Supply Management, juillet 2024

  • 6

    Source : Statistique Canada, 5 juillet 2024

  • 7

    Source : S&P Global/HCOB, juillet 2024

  • 8

    Source : Bloomberg, « Lagarde Says ECB Needs Time to Weigh Inflation Uncertainties », 1er juillet 2024