Nous sommes en mars et, pour beaucoup d’entre nous aux États-Unis (et pour certains ailleurs dans le monde), c’est la saison des championnats de basket-ball universitaire. Nous sommes sur le point d’assister à l’aboutissement du travail acharné, des sacrifices et de la vision stratégique que ces étudiants-athlètes ont mis des années à élaborer. Je ne puis m’empêcher de faire des comparaisons avec les banques centrales et de constater que les investisseurs surveillent de près ce qu’elles vont faire ce mois-ci, à la recherche de signes indiquant que leurs dirigeants estiment être suffisamment proches d’atteindre leurs objectifs et qu’ils s’apprêtent à modifier leur politique monétaire.
La confrontation : Banques centrales contre inflation
La présente « saison » de politique monétaire a débuté en 2022, lorsque les dirigeants des banques centrales des pays développés occidentaux ont commencé à relever leurs taux pour lutter contre l'inflation; il leur a fallu des années pour en arriver là. Les prochains mois et au-delà (plutôt que quelques semaines de matchs éliminatoires dans le cas de la saison de basket-ball) devraient nous dire si leurs efforts ont été couronnés de succès
La bonne nouvelle est qu’à l’instar de nombreux programmes sportifs pour les jeunes, tout le monde peut y gagner. Les banques centrales ne sont pas en concurrence les unes avec les autres. Elles n’ont qu’à atteindre leurs objectifs; pour la plupart d’entre elles, il s’agit simplement de maîtriser une inflation trop élevée. Elles semblent toutes en voie d’y parvenir, même si chacune a sa propre stratégie, compte tenu des caractéristiques et des facteurs propres à chaque économie.
Voici l'état actuel de la situation :
La Banque du Canada : Pas encore prête à baisser ses taux
La Banque du Canada (BdC) s’est réunie la semaine dernière et a fait part de son appréhension quant à une éventuelle baisse des taux d’intérêt. Le gouverneur de la BdC, Tiff Macklem, s’est montré plutôt catégorique : « Il est encore trop tôt pour envisager une baisse du taux directeur ».1 À mon avis, la BdC hésite à faire le premier pas et reste préoccupée par l’inflation, ce qui semble justifié à première vue compte tenu du très bon rapport sur l’emploi de février, qui a été rendu public vendredi dernier. Ce rapport indique que 41 000 emplois ont été créés le mois dernier au Canada, soit environ le double de ce qui était attendu.2 Le Canada connaît toutefois une augmentation significative de sa population, de sorte que le marché de l’emploi se relâche. La croissance des salaires reste élevée mais a ralenti à 4,9 % sur douze mois.2
La Banque centrale européenne : De plus en plus confiante
La Banque centrale européenne (BCE) s’est réunie la semaine dernière et a décidé de ne pas modifier son taux directeur, bien qu’elle semble davantage sur le point de procéder à des baisses de taux. Elle constate des signes d’amélioration dans le secteur tertiaire : l’indice des gestionnaires en approvisionnement (PMI) du secteur tertiaire S&P Global/HCOB s’est établi à 50,2 points en février. C’est la première fois depuis sept mois qu’il se trouve en zone d’expansion (à plus de 50 points). 3
Cependant, malgré ces progrès, le secteur manufacturier continue de décevoir. Qui plus est, en février, la Commission européenne a révisé à la baisse ses prévisions de croissance économique pour 2024 ainsi que ses prévisions d’inflation.4 L’économie de la zone euro est clairement en train de ralentir.
Comme l’a expliqué Christine Lagarde, présidente de la BCE, la semaine dernière : « Nous progressons bien vers notre cible d’inflation, ce qui nous rend plus confiants, mais nous ne le sommes pas encore suffisamment. Nous en saurons beaucoup plus en juin ».5
La Réserve fédérale américaine : Il y a du changement dans l'air
La Réserve fédérale (Fed) ne changera sans doute pas non plus ses taux à sa réunion de ce mois-ci, mais il semble qu’il y ait du changement dans l’air. Nous avons beaucoup entendu le président du conseil de la Fed, Jay Powell, la semaine dernière, à l’occasion de son témoignage de deux jours devant le Congrès, dans le cadre de la conférence Humphrey-Hawkins. Cet événement semestriel a permis de tirer de nombreux enseignements et de nombreuses citations mais voici selon moi les points saillants à retenir :
- Il a déclaré que les taux sont à leur maximum pour le cycle actuel (ce qui était bon à entendre, car certaines rumeurs évoquaient la possibilité d’une hausse de taux, plutôt qu’une baisse à court terme).
- Il ne voit pas de risque élevé de récession pour le moment.
- Les anticipations d’inflation à long terme demeurent bien ancrées (un facteur important pour la Fed dans son processus décisionnel).
- Surtout, M. Powell a laissé entendre que des baisses de taux étaient imminentes : « Nous attendons d’avoir un peu plus de données pour être certains de pouvoir commencer à réduire les taux directeurs ».6
Le témoignage de M. Powell a contribué à modifier les attentes du marché quant à la date de la première baisse de taux, les marchés se sentant plus à l’aise avec le mois de juin. Cette attente est restée constante après la publication vendredi du rapport sur l’emploi de février, qui a montré que bien que l’économie américaine reste résiliente, elle a légèrement ralenti7 :
- Le rapport sur l’emploi indique que 275 000 emplois non agricoles ont été créés en février, ce qui est satisfaisant mais pas exceptionnel. Le nombre d’emplois non agricoles créés en janvier a été révisé à la baisse, passant de 353 000 à 229 000.
- Le taux de chômage est passé de 3,7 % à 3,9 %, car davantage de personnes sont entrées sur le marché du travail, ce qui signifie que le marché de l’emploi se détend.
- Et l’indicateur le plus important à mes yeux, le salaire horaire moyen, demeure élevé mais s’est légèrement amélioré, passant de 4,4 % en janvier à 4,3 % en février en glissement annuel.
La folie ne prendra pas fin ce mois-ci
On peut dire que nous sommes en pleine folie de la politique monétaire et nous savons qu’elle ne se terminera pas en mars. Elle va se poursuivre tout au long de l’année 2024 et il faudra peut-être attendre un certain temps encore pour connaître les vainqueurs.
Ce que nous savons, c’est que de nombreux dirigeants de banques centrales ont adopté un « comportement grégaire » de crainte d’une résurgence de l’inflation et personne ne veut entrer dans l’histoire comme le prochain Arthur Burns (président de la Fed qui a provoqué une hausse massive de l’inflation dans les années 70) et cela les amène à tenir un discours un peu trop « belliciste ». Cela me rappelle les propos de l’ancien président du conseil de la Réserve fédérale de St. Louis, Jim Bullard, qui, n’étant plus responsable de tempérer les conditions financières en tant que dirigeant de la Fed, a déclaré le mois dernier que celle-ci devrait commencer à abaisser ses taux d’intérêt en mars.
Je ne crois pas que c’est ce qui va se passer, mais les banques centrales savent que leur politique est très restrictive et qu’elles devront procéder à des baisses de taux prochainement, quel que soit l’état de l’économie. Malgré les progrès réalisés par les banques centrales dans l’atteinte de leurs cibles, les marchés vont probablement continuer de s’inquiéter de chaque donnée et de son incidence sur les décisions des banques centrales.
L'indice américain des prix à la consommation sera rendu public le 12 mars. Bien qu’il ne s’agisse pas de l’indicateur d’inflation de prédilection de la Fed, il est surveillé de près et peut susciter la crainte chez les investisseurs s’il s’avère plus élevé que prévu. On craint de plus en plus que le taux d’inflation soit « élevé », ce qui risque de faire chuter les actifs à risque. J’invite les investisseurs à ne pas se laisser ébranler si tel est le cas. Comme je le dis toujours, le processus de désinflation est imparfait; tous les points de données ne soutiendront pas la trame narrative, mais la tendance générale ira en ce sens. D’ailleurs, si les marchés chutent suffisamment, cela pourrait offrir de bonnes occasions de placement.
De plus en plus de marchés enregistrent des gains dans l’anticipation de baisses de taux
La semaine dernière, l’indice S&P 500, l’indice Dow Jones des valeurs industrielles et l’indice composé NASDAQ ont tous clôturé en baisse.7 En revanche, les indices Russell 2000 et 3000 ont progressé, tout comme les indices MSCI Marchés émergents, MSCI Europe, MSCI Japon et MSCI Royaume-Uni, pour ne nommer que quelques-uns des grands indices étrangers.8
Visiblement de plus en plus de marchés ont commencé à enregistrer des gains. Au cours du dernier mois, l’indice S&P 500 a été relégué au second plan par rapport aux autres grands indices étrangers et aux sociétés à plus petite capitalisation. Les marchés semblent pressentir une réaccélération de la croissance économique mondiale et une dépréciation du dollar américain et le début des baisses de taux de la Fed pourrait jouer un rôle clé à cet égard. D’ailleurs, les marchés semblent s’attendre à ce que les baisses de taux débutent bientôt.
Un mois de mars mémorable
Le 9 mars marque le 15e anniversaire de la chute de l’indice S&P 500 à la suite de la crise financière mondiale. Je m’en souviens comme si c’était hier. Le marché boursier était en chute libre depuis des mois et il y avait une perte de confiance incroyable à l’égard des marchés et des institutions après la faillite de Lehman Brothers et le chaos qui s’en est suivi à l’automne 2008. Le sentiment négatif n’a fait que s’accentuer au début de 2009 et a culminé lorsque le S&P 500 a chuté sous la barre des 700 points (vous avez bien lu, 700 points) au début de mars.
Un moment en particulier ressort de cette période de folie. À l'époque, je siégeais au conseil d'administration d'un fonds de dotation et je me souviens que certains gestionnaires de fonds spéculatifs très nerveux qui y siégeaient aussi voulaient liquider toutes les positions acheteurs sur actions en ces jours très tourmentés. Bien que notre groupe entretienne habituellement des relations cordiales, nous avons eu un soir, lors d’une conférence téléphonique, un échange houleux en raison de nos points de vue divergents. Au bout du compte, le bon sens (et notre énoncé de politique de placement) a prévalu et nous avons conservé nos placements en actions, ce qui nous a permis de profiter de la forte remontée des marchés qui a suivi, laquelle a été grandement favorisée par la politique monétaire accommodante.
Pour certains, cette journée est un douloureux souvenir, car c’est à ce moment-là que les marchés ont chuté à leur plus bas niveau en 13 ans. Pour moi, c’est un beau souvenir, car cette journée a marqué le début d’une reprise incroyablement forte des marchés. Mais surtout, c’est un puissant rappel de l’importance de conserver ses placements et de s’en tenir à un plan prudent de répartition de l’actif à long terme, quelles que soient les surprises et les déceptions que nous rencontrons. C’est un anniversaire que je n’oublierai jamais.