J’ai beaucoup voyagé ces dernières semaines pour faire des présentations à divers groupes de clients et je suis étonnée par leur degré de pessimisme. Il y a certes des défis à relever, mais je ne crois pas que le pessimisme doive éclipser le potentiel de plus-value du capital et de revenu que je vois poindre à l’horizon.
Le pessimisme des investisseurs semble tourner autour de trois grandes questions.
1. Les banques centrales vont-elles adopter une position trop belliciste cette année?
À mon avis, le réalisme est plus de mise que le pessimisme. Les données sur l’inflation aux États-Unis ont été dévoilées la semaine dernière et les indices des prix à la consommation sommaire et de base surpassent le consensus des analystes. Cependant, ces chiffres indiquent que la croissance de l’inflation continue de ralentir, bien qu’elle soit plus coriace que prévu. Il en va de même de l’indice des prix à la production des États-Unis qui a été rendu public la semaine dernière.
Sur une note positive, certaines données sur la croissance économique dépassent aussi les attentes. En janvier, les ventes au détail aux États-Unis ont largement dépassé les attentes, en hausse de 3 %, par rapport au 1,7 % attendu.1 Si l’on exclut les ventes d’automobiles, on obtient un taux de 2,3 %, ce qui est nettement supérieur à la prévision consensuelle de 0,7 %.1
Ce que je retiens des données de la semaine dernière, c’est que l’économie américaine demeure très résiliente et que la croissance de l’inflation continue de ralentir, mais à un rythme plus lent que nous ne le souhaiterions. Je crois que la Réserve fédérale américaine (Fed) va devoir augmenter un peu plus les taux avant d’appuyer sur le bouton « pause » et, à mon avis, il est très peu probable qu’elle procède à des baisses de taux plus tard cette année. Le « Fedspeak » de la semaine dernière abonde dans ce sens, même si, selon moi, c’est une position trop belliciste :
- Le président de la Réserve fédérale de St. Louis James Bullard a expliqué la situation comme suit : « L’économie américaine croît plus rapidement qu’on ne le croyait et le marché du travail se porte à merveille; le taux de chômage est inférieur à son niveau naturel à long terme... Des hausses du taux directeur devraient aider au maintien d’une tendance désinflationniste en 2023, malgré la croissance soutenue et le dynamisme du marché du travail, et calmer les anticipations d’inflation. »2
- La gouverneure de la Fed Michelle Bowman a aussi mis son grain de sel la semaine dernière. Elle a dit : « Je crois que nous sommes encore loin d’atteindre notre objectif d’inflation de 2 % et que nous allons devoir augmenter le taux des fonds fédéraux jusqu’à ce que nous soyons beaucoup plus près de la cible. »3
La Fed ne fait pas cavalier seul. D’autres banques centrales ont un ton belliciste. La semaine dernière, nous avons obtenu des données qui montrent que l’inflation au Royaume-Uni a ralenti plus que prévu en janvier et a chuté à son plus bas taux en six mois. Le chancelier britannique Jeremy Hunt a réagi en disant ceci : « Bien que toute baisse de l’inflation soit la bienvenue, le combat est loin d’être terminé. »4
Que dire du gazouillis de la Saint-Valentin de la Banque centrale européenne :
« Les roses sont rouges,
les violettes sont bleues,
nous maintiendrons le cap
et ramènerons l’inflation à 2 %. »
Il y a deux ans, le gazouillis de la Saint-Valentin de cette même banque centrale se lisait comme suit :
« Les roses sont rouges,
les violettes sont bleues,
nous maintiendrons des conditions de financement favorables
jusqu’à ce que la crise soit passée. »
J’en déduis que les banques centrales vont maintenir leur rhétorique belliciste jusqu’à ce qu’elles soient prêtes à appuyer sur le bouton pause. Et c’est bien, pourvu qu’elles ne dépassent pas trop les bornes. Je crois que la Fed n’aura besoin que de deux autres hausses de taux, à moins que les prochaines données ne nous disent le contraire.
Prenons la Banque du Canada par exemple. Le bien-fondé de sa décision plutôt courageuse d’appuyer sur le bouton pause des hausses de taux a été confirmé par les données sur l’inflation de janvier, qui montrent un ralentissement de la croissance de l’inflation, malgré un marché du travail qui se porte très bien. La Fed maintient un ton dur parce que cela peut être un outil fort efficace, mais je ne me laisse pas impressionner pour autant, car je soupçonne que les États-Unis seront à la même place que le Canada d’ici quelques mois. Je suis réaliste, mais pas exagérément pessimiste.
2. Les bénéfices vont-ils se détériorer substantiellement en 2023?
Les bénéfices sont une autre source de pessimisme, car les investisseurs s’attendent à ce que l’effet retardé de la politique monétaire touche les bénéfices en même temps que l’inflation nuit aux marges bénéficiaires. J’ai entendu le terme « obstacles » dans de multiples annonces de bénéfices du quatrième trimestre. Un fabricant d’instruments médicaux du Royaume-Uni a dit ceci : « nous allons continuer de faire face à des obstacles macroéconomiques en 2023 »5 tandis qu’un fabricant de matériaux de construction des États-Unis a affirmé que « les pressions inflationnistes continuent de représenter des obstacles. »6
En réalité, le cycle de resserrement marqué de la politique monétaire devrait engendrer des obstacles macroéconomiques, compte tenu que l’inflation en a créés énormément. Cependant, beaucoup d’entreprises font preuve de résilience et ont été en mesure de composer très bien avec ces obstacles depuis un certain temps déjà.
Par exemple, on s’attend à ce que les bénéfices du S&P 500 subissent des pressions, mais pas de façon disproportionnée. Ainsi, pour le premier trimestre de 2023, les analystes projettent une chute des bénéfices de 5,4 % et une croissance des revenus de 1,9 %.7 Pour le deuxième trimestre de 2023, le consensus des analystes est un repli des bénéfices et des revenus de 3,4 et 0,1 % respectivement.7 Pour le troisième trimestre de 2023, ils prévoient une remontée des bénéfices de 3,3 % et une croissance des revenus de 1,4 %.7 Pour le quatrième trimestre de 2023, les analystes s’attendent à une croissance des bénéfices de 9,7 % et à une croissance des revenus de 3,4 %.7
Je me dois de faire une mise en garde et de vous dire que ces chiffres peuvent évidemment être révisés à la baisse, puisque nous n’avons pas vu les effets cumulatifs des hausses de taux. Toutefois, selon moi, la majeure partie de la détérioration des bénéfices a déjà été escomptée dans les cours boursiers.
3. Les risques géopolitiques feront-ils dérailler les marchés boursiers cette année?
Cette question est une grande source d’inquiétude. Je ne suis pas experte en géopolitique, mais les risques géopolitiques sont toujours présents. Parfois, on les voit venir de loin, mais ils peuvent arriver comme un cheveu sur la soupe.
Je suis frappée de voir que les marchés boursiers ont été incroyablement résilients, malgré les crises, conflits et tragédies des cent dernières années.
En tant que citoyenne préoccupée, je surveille les manchettes au quotidien et j’espère que les tensions vont diminuer prochainement partout sur la planète. En tant qu’investisseur, je peux seulement regarder en arrière pour analyser le comportement des marchés à long terme. Je crois que les investisseurs à long terme feraient une erreur s’ils liquidaient leurs actions et autres actifs à risque pour éviter de subir les contrecoups d’une éventuelle menace géopolitique et se privaient du potentiel de plus-value du capital et du revenu de placement.
Je suis estomaquée de constater qu’une grande part du pessimisme des investisseurs en ce moment découle du biais de récence; l’année dernière a été terrible pour la plupart des catégories d’actifs, si bien que beaucoup ne s’attendent pas à ce que cette année soit meilleure. Nous persistons à croire qu’en 2023, nous assisterons à une remontée soutenue des marchés, mais pas nécessairement en ligne droite. Les marchés boursiers risquent de perdre une partie de leurs récents gains si l’économie s’affaiblit et que les bénéfices subissent des pressions. Cependant, nous verrions cela comme une entrave relativement temporaire sur un chemin qui pourrait être parsemé d’occasions de placement.
Conséquences potentielles pour les investisseurs
À mon avis, la clé pour lutter contre le pessimisme est de conserver un portefeuille bien diversifié et de rester centré sur des objectifs à long terme. Les marchés boursiers vont peut-être se replier et perdre une bonne partie des gains des derniers mois, mais je crois que ce sera de courte durée et, par conséquent, une bonne occasion de placement pour ceux et celles qui ont un horizon temporel plus long.
Dans une période de volatilité où les rendements sont parfois relativement bas, je crois que les investisseurs ont probablement intérêt à mettre l’accent sur le potentiel de revenu. Je suis d’avis qu’ils devraient également diversifier leurs sources de revenu et inclure dans leur portefeuille des obligations de bonne qualité, des titres de créance des marchés émergents, des obligations municipales, des obligations à rendement élevé, des actions productives de dividendes et des fiducies de placement immobilier.
Après tout, les malheurs de l’année dernière, y compris le resserrement marqué de la politique monétaire, nous ont déjà procuré certains avantages en 2023 : la plupart des sous-catégories d’actifs de titres à revenu fixe ont vu leurs taux augmenter considérablement au cours des 13 derniers mois. Par exemple, l’indice ICE BofA AAA U.S. Corporate a enregistré un rendement réel de 2,06 % à la fin de 2021, mais au 16 février 2023, ce rendement s’était hissé à 4,68 %.8 Je ne crois pas que les investisseurs devraient délaisser les actions, mais ceux qui ne sont pas friands des risques pourraient mettre l’accent sur le revenu pour réduire la volatilité de leur portefeuille.
Comme j’ai parlé de pessimisme cette semaine, mon trajet de ce matin pour me rendre au travail tombait pile avec ce thème. En route vers la station de métro, j’ai remarqué une dame qui interceptait des gens pour leur faire part d’une information qui semblait extrêmement importante. Je me suis approchée d’elle et je l’ai entendu chuchoter : « La fin du monde s’en vient! » J’ai d’abord pensé « Wow, les gens sont encore plus pessimistes que je ne le croyais. » Je me suis ensuite dit « Pas surprenant que quelqu’un ait eu un éclair de génie en créant des t-shirts et des tasses arborant un message du genre ‘restez calme et faites comme si de rien n’était’ ». Et même si, instinctivement, je voulais lui dire que tout allait bien se passer, elle semblait prendre plaisir à partager cette information avec des travailleurs à moitié éveillés qui ne l’écoutent pas vraiment. En courant pour attraper le métro, je me suis rappelée que résilience et patience sont d’importantes qualités à développer en placements comme dans la vie en général.