La semaine dernière a marqué un tournant important pour les observateurs du marché américain. L'indice américain du coût de l'emploi, plus élevé que prévu, a accentué l'inquiétude entourant la réunion de la Réserve fédérale américaine (Fed), parce que les investisseurs craignaient de plus en plus que la prochaine décision de la Fed soit une hausse de taux afin de lutter contre l’inflation tenace. Sans grande surprise, les actions ont chuté et les taux obligataires ont augmenté. Puis, le proverbial barrage s'est rompu lorsque la Fed s'est montrée plus accommodante que prévu dans son communiqué et sa conférence de presse.
La réunion de la Fed a conduit à une réévaluation des attentes en matière de taux d'intérêt
À sa réunion du 1er mai, la Fed a souligné un manque de progrès en matière de désinflation ces derniers mois, mais a indiqué qu'elle serait patiente. Elle a également souligné les progrès incroyables réalisés au chapitre de la désinflation au cours de la dernière année.
De plus, lorsqu'on lui a posé des questions sur la possibilité d'une hausse de taux, le président du conseil de la Fed, Jay Powell, l'a écartée, la qualifiant d'improbable. Par ailleurs, quand on lui a demandé si les États-Unis étaient en situation de stagflation, M. Powell a insisté sur le fait que ce n'était pas le cas. Enfin, la Fed a également déclaré qu'elle ralentirait le rythme de réduction de son bilan.
Ainsi, les investisseurs ont immédiatement réévalué leurs attentes en matière de taux d'intérêt pour l'année. L'indice S&P 500 a augmenté après l'annonce et encore plus après le début de la conférence de presse. Je crois que cela dénote la réflexion et la perspective dosée de la Fed, qui ne réagit pas exagérément aux récentes données décevantes sur l'inflation.
Le rapport sur l'emploi aux États-Unis en deçà des attentes a renforcé les arguments en faveur d'une baisse des taux d'intérêt
La conférence de presse a été suivie, plus tard dans la semaine, par un sondage sur les postes à pourvoir et le roulement de personnel (Job Openings and Labor Turnover Survey ou rapport JOLTS) qui a révélé que le nombre de postes à combler et le taux de démission ont diminué, signe d'un relâchement de la tension sur le marché du travail.
Ce sondage a été suivi par un rapport sur l'emploi aux États-Unis qui a donné un signal encore plus fort de ralentissement du marché du travail, renforçant ainsi les arguments en faveur d'une baisse des taux d'intérêt. Le nombre d'emplois non agricoles a été largement inférieur aux attentes, avec 175 000 emplois créés en avril.1 Cependant, l'élément le plus important du rapport est le salaire horaire moyen, qui s'est révélé inférieur aux attentes, en hausse de seulement 0,2 % pour le mois et de 3,9 % sur douze mois.1
Les marchés se sont réjouis. Le taux des bons du Trésor américain à deux ans a beaucoup fluctué tout au long de la semaine, passant d'un pic de plus de 5 % en début de semaine à 4,8 % à la fin de la semaine.2 Le taux des bons du Trésor américain à 10 ans a suivi une tendance similaire, atteignant un sommet de 4,68 % en début de semaine, pour clôturer à 4,5 % à la fin de la semaine.2 L'indice S&P 500 a chuté en début de semaine, puis s’est redressé vers la fin de la semaine, à mesure que les taux obligataires diminuaient.
La désinflation se poursuit dans la zone euro
La semaine dernière, des signes de désinflation ont également été observés dans la zone euro. L'estimation préliminaire du taux d'inflation pour le mois d'avril dans la zone euro s’élevait à 2,4 %.3 Le taux d'inflation excluant les aliments et l'énergie s’établissait à 2,8 %, en baisse par rapport à 3,1 % en mars et à 3,3 % en février.3 Sans grande surprise, l'indice Stoxx Europe 600 a connu la semaine dernière une évolution similaire à celle de l'indice S&P 500.
Ralentissement économique modéré ou marqué?
La semaine dernière a semblé confirmer l'idée que le discours a changé, que nous sommes toujours « dans le train de la désinflation » parce que les économies développées occidentales ralentissent suffisamment. Comme je l'ai déjà dit, je suis persuadée que nous sommes toujours dans le « train D ».Par contre, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter des effets à long terme et variables du resserrement de la politique monétaire. Assistons-nous au « ralentissement économique » nécessaire pour maîtriser complètement l'inflation ou assistons-nous au début d'un ralentissement marqué? Je me reporte à de récentes données, telles que ces indices des gestionnaires en approvisionnement (PMI) :
- L'indice PMI du secteur tertiaire de l'Institute for Supply Management (ISM) des États-Unis s'est établi à 49,4 points en avril, ce qui est nettement inférieur aux prévisions et représente la première contraction depuis décembre 2022.4
- L'indice PMI de Chicago pour le mois d'avril a été beaucoup plus faible que prévu, s'établissant à un niveau plutôt anémique de 37,9 points.5
- L'indice de confiance des consommateurs américains publié par le Conference Board pour le mois d’avril s'est détérioré pour un troisième mois consécutif, s'établissant à 97 points, contre 103,1 points en mars.6 La confiance est désormais à son niveau le plus bas depuis juillet 2022, parce que les consommateurs sont moins optimistes à l'égard du marché du travail et de la conjoncture.6
Je serai vigilante, compte tenu de l'ampleur du resserrement de la politique monétaire de la Fed et de la durée pendant laquelle elle a laissé les taux au pic tout au long de ce cycle de resserrement. Nous aimerions tous que ce cycle de resserrement ressemble à celui de la Fed en 1994-1995 et qu’une récession puisse être évitée. Or, lors de ce cycle de resserrement, seulement cinq mois s'étaient écoulés entre la fin des hausses de taux et le début des baisses de taux.7 Cette fois-ci, les hausses de taux ont pris fin en juillet 2023 et nous attendons toujours une première baisse de taux; les dégâts pourraient donc être bien plus importants.
Et, bien sûr, le resserrement est beaucoup plus prononcé cette fois-ci en termes absolus, soit 500 points de base contre 300 lors du cycle de resserrement de 1994-1995.7 C'est pourquoi je suis très sensible à toutes les données et informations anecdotiques qui montrent que la situation économique se détériore rapidement. À l'heure actuelle, je crois qu'il est beaucoup plus probable que nous assistions au type de ralentissement économique souhaité par la Fed, mais je suis consciente des risques.
Le prix du cuivre indique que la croissance mondiale semble s'améliorer
La bonne nouvelle est que les perspectives de croissance mondiale semblent s’améliorer. La semaine dernière, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a mis à jour ses perspectives mondiales. Elle a révisé à la hausse ses prévisions de croissance mondiale pour 2024 à 3,1 % (contre 2,9 % dans ses prévisions précédentes en février) et ses prévisions pour 2025 à 3,2 % (contre 3 % dans ses dernières prévisions).8 Il convient de noter que l'OCDE a révisé à la hausse ses prévisions de croissance pour les États-Unis et la Chine.
Il n'y a pas que l'OCDE. « Dr Cuivre », autrement dit le prix du cuivre, semble abonder dans le même sens. Les observateurs du marché considèrent depuis longtemps le prix du cuivre comme un indicateur de la santé de l'économie mondiale, en particulier de la Chine. En effet, le cuivre est une matière première fondamentale utilisée dans de nombreux secteurs et produits. L'augmentation de la demande de cuivre indique que la croissance économique est en hausse parce que des choses sont construites et fabriquées. Le prix du cuivre est en hausse depuis la mi-février, malgré une brève, mais forte, baisse la semaine dernière, suivie d’une remontée vers la fin de la semaine, ce qui laisse supposer que l'économie mondiale se porte mieux. Je soupçonne que les actions mondiales de sociétés à petite capitalisation vont amorcer un redressement durable si d'autres signes de reprise économique se manifestent.
Voici ce que nous allons surveiller
Cette semaine, nous connaîtrons les décisions de deux grandes banques centrales : la Banque de réserve d'Australie (RBA) et la Banque d'Angleterre. Les investisseurs craignent de plus en plus que la RBA relève ses taux à sa prochaine réunion, mais, à mon avis, c'est très peu probable; je m'attends plutôt à ce qu'elle se montre très belliciste, car elle utilise la parole en guise d’outil de politique monétaire.
Je m’intéresse plus particulièrement à la Banque d’Angleterre. La Banque d’Angleterre adopte un ton de plus en plus accommodant et je ne serais pas étonnée qu'elle abaisse ses taux à sa prochaine réunion, surtout à la lumière des propos accommodants de la Fed la semaine dernière. S'il n'y a pas de baisse de taux cette semaine, je m'attends à ce que la Banque d’Angleterre se montre accommodante et signale que les baisses de taux pourraient commencer cet été, très probablement en juin, comme le signale la Banque centrale européenne.
Je vais aussi m'intéresser à un certain nombre de données qui seront publiées cette semaine, notamment le rapport sur l'emploi d'avril au Canada, pour voir s'il y a un relâchement similaire sur le marché du travail, en particulier en matière de croissance des salaires. Et, bien sûr, les anticipations d'inflation mesurées par l'Université du Michigan sont une donnée incontournable pour moi, simplement pour m'assurer que les anticipations d’inflation demeurent bien ancrées. Le produit intérieur brut, la production industrielle et les investissements des entreprises au Royaume-Uni sont également des données importantes.