Kristina Hooper
J’ai dit à maintes reprises qu’il y aurait des surprises, tant positives que négatives, sur la voie de la baisse des taux d’intérêt et de la réaccélération économique à l’échelle mondiale. Les nouvelles de la semaine dernière nous ont apporté un peu des deux. Du côté des bonnes nouvelles, la production industrielle aux États-Unis a augmenté plus que prévu et les actions du Royaume-Uni ont fait preuve de vigueur face à une inflation persistante. Toutefois, de nouvelles projections ont montré que le déficit américain devrait augmenter fortement et que la hausse des prix du pétrole brut pourrait avoir une incidence sur l’inflation des biens.
Les données contrastées sur l’économie américaine soulèvent des questions au sujet de la Réserve fédérale.
Les États-Unis continuent d’afficher des données économiques contrastées. En mai, les ventes au détail aux États-Unis ont été beaucoup plus faibles que prévu, en particulier dans le secteur de l’automobile1, et les mises en chantier ont atteint leur plus bas niveau sur quatre ans2. Toutefois, la production industrielle a augmenté de 0,9 % en mai, ce qui a dépassé les prévisions3 et l’indice des directeurs d’achats (PMI) des États-Unis a été plus élevé que prévu en juin. L’indice composé des directeurs d’achats a atteint un sommet inégalé depuis 26 mois et S&P a noté une amélioration de la confiance des entreprises, surtout dans le secteur des services4.
Ces données contrastées s’ajoutent aux signes antérieurs indiquant que les États-Unis se trouvent dans une « économie à deux vitesses », où les ménages à faible revenu subissent d’importantes pressions. Nous observons donc un délicat exercice d’équilibre : la Réserve fédérale américaine (Fed) souhaite que l’économie américaine ralentisse suffisamment pour justifier des réductions de taux, mais pas au point d’entrer en récession. Dans cette optique, la faiblesse des ventes au détail a été une mauvaise nouvelle pour l’économie, mais une bonne nouvelle pour les marchés; les solides indices des directeurs d’achats ont été l’inverse. Nous suivrons donc de près l’évolution des données pour voir si l’économie est trop dynamique pour que la Fed se sente autorisée à réduire ses taux au troisième trimestre.
Les actions britanniques se montrent robustes à l’approche des élections du 4 juillet
La semaine dernière, les actions britanniques se sont démarquées, l’indice MSCI R.-U. progressant de 1 %5, alors même que les chiffres de l’inflation, publiés en début de semaine, indiquaient que l’inflation des services était plus tenace que prévu. De plus, cette performance a eu lieu alors que la Banque d’Angleterre a décidé de rester les bras croisés et de ne pas réduire les taux lors de sa réunion de juin.
Qu’est-ce qui explique le rendement des actions britanniques? Différents facteurs sont en jeu. La semaine dernière, certaines nouvelles idiosyncrasiques sur des opérations de capital-investissement ont contribué à la hausse des cours dans les services financiers. De plus, la confiance des consommateurs s’est améliorée. Mais le principal facteur semble être la réaction des actions britanniques à la certitude politique qui précède les élections du 4 juillet.
Les sondages montrent une forte préférence pour le parti travailliste. Certains pourraient penser que cela provoquerait une réaction négative des marchés, mais cela ne s’est pas produit. Pourquoi pas? Je pense que les marchés sont prêts à un changement de direction après de nombreuses années passées sous la houlette des conservateurs. Un nouveau gouvernement pourrait améliorer les relations commerciales avec l’Union européenne. De plus, il ne s’agit plus du parti travailliste de Jeremy Corbyn; le parti est maintenant dirigé par Keir Starmer, qui semble être plutôt un centriste pragmatique. Les électeurs nostalgiques qui espèrent un retour aux années Tony Blair pourraient être déçus, car le Royaume-Uni fait face à des défis très importants. Toutefois, je crois que les actifs risqués du Royaume-Uni devraient profiter de réductions de taux progressives, qui commenceront selon moi en août.
D’autres signes de divergence entre les banques centrales sont apparus lors des réunions de juin
La Banque d’Angleterre n’a pas été la seule à décider de ne pas bouger la semaine dernière. La Banque de réserve d’Australie (RBA) a également décidé de maintenir les taux à leurs niveaux actuels. Selon la RBA, il faudra un certain temps avant que l’inflation reste durablement dans la fourchette cible; elle pourrait donc être la dernière des grandes banques centrales des pays développés occidentaux à agir.
La Banque nationale suisse (BNS) a ouvert le bal en réduisant ses taux en mars. La semaine dernière, elle a décidé de les réduire de nouveau. Elle a invoqué plusieurs raisons pour justifier cette réduction : une baisse des pressions inflationnistes (l’inflation en Suisse a été ramenée à 1,4 % en mai6), un franc suisse vigoureux et une augmentation de l’incertitude à l’échelle mondiale.
Comme je l’ai indiqué la semaine dernière, il est clair que les banques centrales réagissent à leurs conditions économiques particulières au moment de réduire leurs taux. Les banques centrales occidentales évoluent toutes dans la même direction, mais je prévois que les prochains mois seront marqués par d’importantes divergences.
Aux États-Unis, les dépenses entraînent une hausse des prévisions de déficit fédéral
La semaine dernière, le Congressional Budget Office (CBO) des États-Unis a publié de nouvelles projections indiquant que le déficit fédéral devrait s’élever à 1 900 milliards de dollars, soit 6,7 % du produit intérieur brut, au cours de l’exercice 2024 qui se termine en septembre7. Ce qui est surprenant, c’est que ces prévisions dépassent de plus de 400 milliards de dollars la dernière estimation reçue du CBO en février. Pour rappel, le déficit a diminué à 5,4 % du PIB en 2022, mais il s’est creusé au cours des deux dernières années, même avec une solide économie réelle et un faible taux de chômage8.
C’est à mon avis préoccupant, car les États-Unis ne sont plus en crise et ne devraient plus avoir à faire autant de dépenses déficitaires. Le service de la dette est le principal problème pour moi. Les frais d’intérêt nets pour l’exercice 2024 devraient s’élever à 892 milliards de dollars, éclipsant ainsi les dépenses militaires de 849 milliards de dollars9. Évidemment, plus les taux sont élevés, plus la charge de la dette est importante. J’espère que la Fed commencera bientôt à réduire ses taux afin de donner un peu de répit au budget fédéral. Comme certains historiens l’ont souligné, lorsqu’une grande nation dépense plus d’argent pour rembourser sa dette que pour sa défense, elle ne reste généralement pas très longtemps une grande nation.
Ces dernières années, l’or est devenu la classe d’actifs « refuge » par excellence, probablement en raison des inquiétudes concernant la viabilité des finances publiques américaines, et je pense que cette tendance va se poursuivre. Compte tenu de ces prévisions, je m’attendrais à ce que le phénomène des « justiciers obligataires » soit plus prononcé, les investisseurs vendant des obligations (ou menaçant de les vendre) en guise de protestation contre ce niveau de dépenses.
Il convient de noter que le Comité pour un budget fédéral responsable suivra les promesses des candidats à la présidentielle pour évaluer leur incidence sur le déficit fédéral. Cette démarche pourrait être une perte de temps, compte tenu des nombreuses promesses électorales aléatoires qui peuvent être faites sous l’impulsion du moment, mais elle doit être saluée lorsque la viabilité budgétaire est une question importante.
L’inflation dans la zone euro n’est pas trop préoccupante
Les données provisoires sur l’inflation dans la zone euro montrent qu’elle a augmenté de 2,6 % sur 12 mois en mai, contre 2,4 % en avril10. Il ne s’agit pas seulement de l’inflation globale; l’inflation de base a également augmenté de 2,9 % sur 12 mois en mai, en hausse par rapport aux 2,7 % d’avril10. L’inflation des services a connu une hausse étonnamment importante.
Mais un facteur au moins semble temporaire : une tournée de concerts particulièrement médiatisée a contribué à l’inflation des services dans des pays comme l’Espagne et le Portugal, où l’inflation des forfaits de voyage et des services d’hébergement a fortement augmenté11. Ce ne serait pas la première fois que les économistes avancent que cette tournée a eu un impact économique; vous vous rappelez peut-être qu’elle a été considérée comme un facteur de stimulation de l’économie américaine l’été dernier.
Les prix du pétrole brut sont en hausse
Le baril de pétrole brut West Texas Intermediate a brièvement grimpé à 81 $ la semaine dernière avant de retomber légèrement plus bas12. La récente intensification des tensions au Moyen-Orient – en particulier les attaques de Houthis contre des navires dans la mer Rouge – a probablement été un facteur déterminant, tout comme la baisse des stocks. Je ne m’attends pas à une hausse spectaculaire des prix du pétrole, mais il faudra certainement surveiller la situation de près.
Que nous réserve l’avenir?
La Fed va beaucoup communiquer cette semaine, mais cela ne sera pas très important par rapport à la mesure d’inflation la plus significative pour la banque centrale, l’indice des prix des dépenses personnelles de consommation (DPC) aux États-Unis, qui sera publié vendredi. Les dépenses de consommation personnelles de base devraient baisser à environ 2,6 % sur 12 mois, ce qui, selon moi, aidera la Fed à se sentir confiante pour commencer à réduire les taux d’ici la fin du troisième trimestre. De même, nous attendrons les données sur l’inflation au Canada, qui nous aideront à déterminer si la Banque du Canada réduira de nouveau les taux en juillet. Je pense que ce sera le cas.
Nous nous concentrerons également sur l’économie chinoise. La semaine dernière, les ventes au détail en Chine ont été meilleures que prévu, ce qui indique que les consommateurs sont plus résilients. À la fin de la semaine, nous recevrons les indices PMI chinois qui, nous l’espérons, fourniront des données plus positives sur l’état de l’économie du pays.
Je m’attends à des surprises, tant positives que négatives, lors de ce processus de baisse des taux et de réaccélération économique à l’échelle mondiale. Mais je prévois que ce parcours offrira de nombreuses occasions aux investisseurs, surtout dans les secteurs sous-évalués et sous-estimés des marchés. Revoyez nos perspectives de placement de mi-année afin d’en savoir plus sur les occasions prévues.