Marchés et économie

Hausse des taux des bons du Trésor, chute des prix du pétrole et propos bellicistes de la Fed

Le soleil se couche derrière une plateforme de forage pétrolier au large de la côte du comté d'Orange, en Californie
Points importants à retenir
Intensification des propos bellicistes
1

La semaine dernière, plusieurs membres du Federal Open Market Committee ont tenu des propos bellicistes.

Incidences sur les taux d'intérêt
2

Je persiste à croire qu'une baisse des taux aux États-Unis en juin et un total de trois baisses pendant l'année sont tout à fait possibles, mais les marchés attendent de voir plus de données.

Chute des prix du pétrole brut
3

Les prix du pétrole brut intermédiaire de l’Ouest du Texas ont chuté la semaine dernière par rapport à leurs récents sommets, malgré les tensions au Moyen-Orient.

La hausse du taux des bons du Trésor américain à 10 ans, la chute des prix du pétrole, la désinflation dans la zone euro et d’excellentes statistiques économiques aux États-Unis figurent en tête de ma liste d'éléments significatifs qui ont eu un impact sur les marchés et les investisseurs au cours de la dernière semaine. Voici ce que je surveille en ce moment, en plus des propos des dirigeants des banques centrales concernant les taux d'intérêt.

Les dirigeants des banques centrales américaines adoptent un ton de plus en plus belliciste

La semaine dernière, le taux des bons du Trésor américain à 10 ans a atteint un niveau inégalé depuis novembre dernier.1 Le catalyseur a été l’indice des prix à la consommation (IPC) américain plus élevé que prévu il y a quelques semaines, qui a amené les marchés à changer d’avis sur la politique de la Réserve fédérale américaine (Fed) cette année. Cette perception a été renforcée par le rapport sur les ventes au détail de la semaine dernière, qui a largement dépassé les attentes2 et par le « Fedspeak » belliciste de plusieurs membres du Federal Open Market Committee. Voici quelques-uns des faits saillants de la semaine dernière :

  • Philip Jefferson, vice-président du conseil de la Fed, a dit ceci : « ...si les nouvelles données montrent que l’inflation est plus persistante que je ne le prévois en ce moment, il conviendra de maintenir plus longtemps l’orientation restrictive actuelle de la politique monétaire. Je m’engage résolument à ramener l’inflation à 2 % ».3
  • Jay Powell, président du conseil de la Fed, a déclaré ceci : « Les plus récentes statistiques ne nous ont clairement pas donné plus confiance et indiquent au contraire qu’il faudra probablement plus de temps que prévu pour avoir suffisamment confiance. Pour le moment, compte tenu de la vigueur du marché du travail et des progrès réalisés jusqu’à présent dans la lutte contre l’inflation, il convient de laisser à la politique restrictive le temps de faire son œuvre et de nous laisser guider par les données et l’évolution des perspectives. Si la hausse de l’inflation persiste, nous maintiendrons le niveau actuel de restriction, et ce, aussi longtemps qu’il le faudra ».4
  • John Williams, président de la Réserve fédérale de New York, a dit : « Les taux d’intérêt se situent à un niveau qui nous permet d’atteindre progressivement nos objectifs, de sorte que je ne ressens absolument pas l’urgence de procéder à des baisses de taux d’intérêt ».5
  • Dans le Rapport sur la stabilité financière rendu public la semaine dernière par la Réserve fédérale américaine, on peut lire ceci : « Le risque que des pressions inflationnistes persistantes aboutissent à une politique monétaire plus restrictive que prévu demeure le risque le plus souvent cité, par près des trois quarts des répondants au sondage. La proportion des répondants qui ont mentionné l’incertitude à l’égard de la politique monétaire comme étant un risque pour le système financier s’élevait à un peu moins des deux tiers, ce qui est beaucoup plus élevé que dans le rapport d’octobre ».6

Les prix du pétrole ont chuté malgré les tensions au Moyen-Orient

Les prix du pétrole brut intermédiaire de l’Ouest du Texas ont chuté la semaine dernière par rapport à leurs récents sommets.7 Certains ont été déconcertés par cette baisse, compte tenu des fortes tensions au Moyen-Orient, mais je crois qu’elle est le reflet de quelques facteurs clés :

  • Tout d’abord, la production de pétrole aux États-Unis a changé la donne en atténuant l’impact des risques géopolitiques au Moyen-Orient sur les prix du pétrole. Selon la Energy Information Administration des États-Unis, les États-Unis sont le plus gros producteur de pétrole brut depuis 2018. Sa production de 12,9 millions de barils par jour en 2023 est largement supérieure à celle du deuxième producteur de pétrole, la Russie, à 10,1 millions de barils par jour, et à celle de l’Arabie saoudite, à 9,7 millions de barils par jour.8
  • De plus, les tensions au Moyen-Orient sont certes élevées, mais pas autant que beaucoup le craignaient. À mon avis, les ripostes modérées de l’Iran et d’Israël sont purement symboliques; elles sont très contrôlées et visent simplement à manifester un certain mécontentement face à l’acte d’agression précédent, mais elles semblent destinées à éviter une intensification des interventions militaires.
  • En outre, la nouvelle sagesse populaire selon laquelle les taux resteront élevés plus longtemps devrait entraîner une certaine destruction de la demande, ce qui, je crois, a également exercé une pression à la baisse sur les prix du pétrole.

L'espoir d'une désinflation plus rapide perdure au Royaume-Uni

Le plus récent indice des prix à la consommation du Royaume-Uni a confirmé la thèse selon laquelle l'inflation au Royaume-Uni va persister. L'inflation dans le secteur tertiaire a diminué, mais pas autant que les observateurs l'auraient souhaité. En outre, la croissance des salaires au Royaume-Uni a ralenti moins que prévu. Par conséquent, les marchés ont changé d'avis sur la date de la première baisse de taux de la Banque d'Angleterre. 

Je garde toutefois espoir que les taux vont baisser avant la fin du deuxième trimestre. J’ai donc été rassurée par les propos de David Ramsden, vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre, qui a déclaré ceci : « Étant donné que nous connaissons le prix plafond de l’Ofgem pour avril et compte tenu du gel des taxes sur le carburant dans le budget de mars, toutes choses étant égales par ailleurs, nous pouvons être sûrs que l’inflation globale selon l’IPC va chuter considérablement en avril, pour se rapprocher de la cible de 2 % ».9 La forte hausse du taux de chômage au Royaume-Uni, qui est passé de 3,9 % en janvier à 4,2 % en février10, justifie, selon moi, un assouplissement plus tôt que tard.

La zone euro fait d'énormes progrès en matière de désinflation

Le taux d’inflation annuel de la zone euro s’est élevé à 2,4 % en mars, en recul par rapport aux 2,6 % enregistrés en février et aux 2,8 % de janvier. Il s’agit d’une énorme amélioration si l’on considère qu’il y a un an, le taux d’inflation sur douze mois était de 6,9 %. De plus, le taux d’inflation de base, qui exclut les aliments et l’énergie, est resté inchangé à 2,9 % en glissement annuel en mars et à 2,6 %, si l’on exclut le tabac.11 À mon avis, cette tendance est pratiquement une garantie que la Banque centrale européenne va procéder à une baisse des taux d’intérêt à sa réunion de juin.

L'économie américaine semble forte, mais la consommation montre des signes de ralentissement

De nombreuses données confirment la vigueur de l’économie américaine. Il suffit de regarder le rapport sur les ventes au détail de la semaine dernière, qui faisait suite à une série de données relativement bonnes. Cela se reflète dans les primes de rendement des obligations à rendement élevé, qui se sont en fait resserrés ces derniers mois. Elles sont bien inférieures à la moyenne sur 30 ans de 4,93 % et bien en deçà du seuil de 7,5 % qui a traditionnellement coïncidé avec les récessions.12

Cependant, certaines données suggèrent que les consommateurs, du moins les ménages à faible revenu, commencent à en arracher. Par exemple, les soldes de cartes de crédit en souffrance aux États-Unis au quatrième trimestre ont atteint leur niveau le plus élevé depuis que la Réserve fédérale de Philadelphie a commencé à compiler ces données en 2012.13 De plus, la proportion de titulaires de cartes de crédit qui effectuent le paiement minimum a augmenté de 34 points de base par rapport au trimestre précédent, atteignant ainsi un niveau record dans la série de données, ce qui laisse entrevoir une augmentation des pressions sur les revenus.14

Certaines banques émettrices de cartes de crédit sont plus exposées que d’autres à l’augmentation des taux de soldes impayés et la question des soldes impayés a déjà été soulevée dans la séance de dévoilement des résultats d’un prêteur dont une plus forte proportion de la clientèle est constituée de ménages américains à faible revenu. Nous allons suivre ce dossier de près. Toute hausse significative du taux de chômage pourrait avoir un impact correspondant sur les ménages à plus faible revenu, d’autant plus que leur taux d’épargne est faible, ce qui signifie qu’ils n’ont pas un très gros coussin en cas de détérioration de la situation économique. Ce n’est pas mon scénario de référence, mais nous devons éviter tout excès de confiance et suivre de près l’évolution de la santé financière des consommateurs, car c’est un enjeu important.

Des nouvelles concernant la Chine et le Canada

Il convient également de noter que le produit intérieur brut de la Chine pour le premier trimestre a agréablement surpris car il a été supérieur aux attentes. Cela sous-entend que les mesures de relance budgétaire ciblées améliorent la confiance et ont un effet bénéfique sur l’économie.

Par ailleurs, le budget fédéral du Canada de 2024 a été rendu public la semaine dernière. Bien qu’il renferme des propositions intéressantes susceptibles de stimuler la croissance économique et d’accroître la stabilité financière des ménages, il soulève également des inquiétudes concernant la dette publique et le coût élevé du service de cette dette, même si ces inquiétudes sont loin d’être aussi vives que celles qui sont exprimées au sud de la frontière, aux États-Unis. Pour en savoir davantage sur le budget fédéral, veuillez consulter notre commentaire : Budget fédéral de 2024 - Ce qu'il faut savoir.

Répercussions sur les différentes catégories d’actifs

Les actifs à risque sont clairement sous pression et vont probablement le rester tant que les taux vont demeurer élevés. Cependant, je suis persuadée que cela aussi va passer. Je persiste à croire qu’une baisse des taux de la Fed en juin et un total de trois baisses pendant l'année sont tout à fait possibles. Par contre, les marchés ne changeront probablement pas d’avis, si bien que la pression sur les actifs à risque ne diminuera probablement pas tant qu’il n’y aura pas de données significatives montrant des progrès en matière de désinflation et une économie « moins en surchauffe ». 

Quand je pense à mes espoirs concernant les données à venir, je me souviens de ce qu’Antonio Salieri, rival de Wolfgang Amadeus Mozart, aurait proclamé (du moins dans les films) : « Je parle au nom de tous les cancres. Je suis leur champion... Je suis le saint patron de la médiocrité ». Ces dernières semaines, nous aurions bien eu besoin de données sur l’IPC et des ventes au détail dignes de Salieri. J’espère que les données économiques américaines des semaines et des mois à venir nous réservent des moments à la Salieri, c’est-à-dire des données médiocres sur l’inflation et sur l’économie en général qui ne causent pas de surprises à la hausse.

Nous aurons de bonnes raisons d’être optimistes une fois que nous aurons davantage de preuves de la tendance à la désinflation aux États-Unis. Je crois que le récent repli est sain et qu’il a rendu les valorisations des actifs à risque plus attrayantes. Qui plus est, il y a encore énormément de liquidités non investies qui pourraient se retrouver sur les marchés. D’ailleurs, un commentaire du chef des services financiers d’une grande banque mondiale lors d’une conférence téléphonique sur les résultats, la semaine dernière, vient étayer cette thèse. Il a déclaré ceci : « ...il y a actuellement beaucoup de liquidités non investies. On peut donc s’attendre à un afflux continu de nouveaux actifs sous gestion, tout dépendant de la façon dont les marchés boursiers vont se comporter. Mais nous sommes tous frappés par l’ampleur des liquidités non investies en ce moment ».15 Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une anomalie; je soupçonne que de nombreuses banques constatent que leurs clients laissent des sommes considérables dans leurs comptes.

Voici ce que nous allons surveiller cette semaine

Le point de données le plus important de la prochaine semaine sera, à mon avis, les dépenses de consommation personnelle aux États-Unis. Je vais aussi surveiller le produit intérieur brut des États-Unis et les anticipations d’inflation des consommateurs selon le sondage de l’Université du Michigan. Il va sans dire que j'espère qu'il s'agira de données à la Salieri, c'est-à-dire des données médiocres qui ne surprendront pas à la hausse.

De plus, la Banque du Japon (BdJ) va annoncer une décision cette semaine. Ces derniers jours, le gouverneur Kazuo Ueda a laissé entendre à plusieurs reprises que la BdJ n’hésiterait pas à resserrer davantage sa politique monétaire si l’inflation continuait d’augmenter. D’après un récent sondage de Tsutomu Watanabe16, les anticipations d’inflation des consommateurs japonais ont augmenté, ce qui confirme que la hausse de l’inflation n’est pas sans conséquences. Cette réunion de la banque centrale pourrait donc être importante en ce sens qu’elle fournira des indications sur la date à laquelle la BdJ est susceptible d’intervenir de nouveau. Cela pourrait contribuer à l’appréciation du yen, qui est très faible en ce moment.

Cette semaine, nous entendrons également des discours importants de la part des membres de la Banque centrale européenne (BCE), notamment de la présidente Christine Lagarde. Je m’attends à ce qu’ils continuent de marteler leur message, qui confirme essentiellement le début des baisses de taux en juin. Enfin, la période de déclaration des bénéfices va s’accentuer. J’attends avec impatience d’écouter ces conférences téléphoniques sur les résultats pour en savoir davantage sur les secteurs d’activité, le comportement des consommateurs et des entreprises et l’économie en général.

Dates à surveiller

Date

Événement

Ce que ça signifie

22 avril

Discours de Christine Lagarde, présidente de la BCE

Permet de mieux comprendre ce que pense la banque centrale.

 

Indice de confiance des consommateurs de la zone euro

Suit l'évolution de la perception qu'ont les consommateurs de leurs finances et de l'économie.

 

23 avril

Indices des gestionnaires en approvisionnement (PMI) de la zone euro

Donnent une indication de la santé économique des secteurs manufacturier et tertiaire.

 

Indices PMI du Royaume-Uni

Donnent une indication de la santé économique des secteurs manufacturier et tertiaire.

 

Indices PMI (S&P Global) des États-Unis

Donnent une indication de la santé économique des secteurs manufacturier et tertiaire.

 

Ventes de maisons neuves aux États-Unis

Mesurent la santé du marché de l’habitation.

24 avril

Indice allemand IFO de confiance des entreprises

Évalue la confiance des entreprises en Allemagne et mesure leurs attentes des six prochains mois.

 

 

Commandes de biens durables aux États-Unis

Suit le volume des nouvelles commandes passées auprès des fabricants de biens durables.

 

Ventes au détail au Canada

Sonde la demande des consommateurs.

 

Allocution de la gouverneure de la BCE, Isabel Schnabel

Permet de mieux comprendre ce que pense la banque centrale.

 

Résumé des délibérations de la Banque du Canada

Permet de mieux comprendre ce que pense la banque centrale.

25 avril

Indice GfK de confiance des consommateurs de l’Allemagne

Mesure un éventail d'attitudes des consommateurs, y compris leurs attentes concernant la situation économique générale et la santé financière des ménages.

 

Décision quant à la politique monétaire de la Banque du Japon

Révèle la plus récente décision concernant la trajectoire des taux d'intérêt.

 

Réunion du Conseil monétaire national de la Banque centrale du Brésil

Révèle la plus récente décision concernant la trajectoire des taux d'intérêt.

 

PIB des États-Unis

Mesure l’activité économique d’une région.

 

Indice Gfk de confiance des consommateurs britanniques

Suit l'évolution de la perception qu'ont les consommateurs britanniques de leurs finances et de l'économie.

26 avril

Conférence de presse de la Banque du Japon

Permet de mieux comprendre ce que pense la banque centrale.

 

Indice américain des DCP

Mesure la variation des prix des biens et services.

 

 

Revenu des particuliers, dépenses et consommation aux États-Unis

Donne une indication de la santé financière des consommateurs américains.

 

Sondage de l’Université du Michigan sur les attentes des consommateurs, y compris les anticipations d’inflation

Sonde les anticipations d’inflation des consommateurs.

 

Notes de bas de page

  • 1

    Source : Bloomberg, 19 avril 2024

  • 2

    Source : U.S. Census Bureau, 15 avril 2024

  • 3

    Source : Réserve fédérale américaine, transcription d’une allocution, 16 avril 2024

  • 4

    Source : Reuters, « Fed's Powell says restrictive rates policy needs more time to work », 16 avril 2024

  • 5

    Source : Bloomberg, « New York Fed’s Williams Sees No Urgency to Cut Interest Rates », 18 avril 2024

  • 6

    Source : Réserve fédérale américaine, Rapport sur la stabilité financière, avril 2024

  • 7

    Source : Bloomberg, 19 avril 2024

  • 8

    Source : US Energy Information Administration, In-Brief Analysis, 11 mars 2024

  • 9

    Source : The Guardian, « Pound drops as Bank of England deputy governor sees lower inflation ahead – as it happened », 19 avril 2024

  • 10

    Source : UK Office of National Statistics, avril 2024

  • 11

    Source : Eurostat, 17 avril 2024

  • 12

    Source : Données économiques de la Réserve fédérale de St. Louis au 18 avril 2024, écart corrigé en fonction des clauses optionnelles de l’indice ICE BofA US High Yield. Cet indice suit le rendement des obligations de sociétés de qualité inférieure libellées en dollars américains cotées en bourse sur le marché intérieur américain. L’écart corrigé en fonction des clauses optionnelles est l’écart de taux qui doit être ajouté à la courbe des taux d’un indice cible pour escompter les paiements d’un titre pour qu’ils correspondent à son cours boursier, à l’aide d’un modèle de tarification dynamique qui tient compte des options intégrées.

  • 13

    Source : Réserve fédérale de Philadelphie, Q4 2023 Insights Report, 10 avril 2024

  • 14

    Source : Réserve fédérale de Philadelphie, Q4 2023 Insights Report, 10 avril 2024

  • 15

    Source : Alistair Borthwick, CSF de la Bank of America, dévoilement des bénéfices, 14 avril 2024

  • 16

    Source : Bloomberg, « Higher Inflation, Price Tolerance in Japan Boosts Case for BOJ Rate Hikes », 21 avril 2024