Marchés et économie

La Fed rajuste sa politique monétaire pour éviter une récession

Siège de la Réserve fédérale américaine
Points importants à retenir
Une réduction « préventive »
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La Réserve fédérale américaine (Fed) a abaissé les taux de 50 points de base la semaine dernière afin de maintenir l’économie américaine en bonne santé et d’éviter de prendre du retard.

Une vision mondiale
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Le début des mesures d’assouplissement de la Fed est essentiel pour accroître le contexte expansionniste de la politique monétaire qui commence dans une grande partie du monde.

L’incertitude règne
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Toutefois, malgré une politique monétaire expansionniste, les marchés nageront dans l’incertitude au cours des prochains mois.

Tout d’abord, mea culpa. J’avais tort. J’étais convaincue qu’après avoir laissé passer une occasion de réduire les taux en juillet, la Réserve fédérale américaine (Fed) ne réduirait pas les taux d’intérêt de façon colossale en septembre. Mais, hélas, nous, les Américains, aimons faire plus que ce que je pensais. Ainsi, malgré l’utilisation de réductions de 50 points de base en période de crise (2001, 2007 et 2020), la Fed a choisi de réduire de 50 points de base la semaine dernière comme mesure préventive, afin de maintenir l’économie américaine en bonne posture et d’éviter de prendre du retard et de tomber en récession.

De plus, le graphique à points de la Fed a révélé des plans d’importantes mesures d’assouplissement : Le taux directeur médian prévu pour la fin de l’année a été révisé à la baisse à 4,4 % pour 2024 (contre 5,1 %), à 3,4 % pour 2025 (contre 4,1 %) et à 2,9 % pour 2026 (contre 3,1 %), où il devrait rester en 20271

Voici les principaux points à retenir de la conférence de presse de Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine :

  • M. Powell a indiqué que la Fed ne croit pas qu’elle soit en retard dans la réduction des taux, mais nous pouvons interpréter la réduction de 50 points de base comme un signe que la Fed s’engage à ne pas prendre de retard sur la courbe.
  • M. Powell s’est montré rassurant sur l’économie américaine, estimant que le marché de l’emploi demeure très vigoureux et que le taux de chômage est faible par rapport aux données historiques. Toutefois, il a également reconnu que les risques de baisse de l’emploi ont augmenté. Il a mentionné que le chômage était la mesure la plus importante pour la Fed dans sa décision; il semble évident que l’affaiblissement du marché de l’emploi a été le catalyseur de cette réduction des taux.
  • Interrogé sur le message que cette décision envoie aux consommateurs américains, M. Powell a déclaré que l’économie américaine est en bonne posture et que la Fed tente de la maintenir.
  • On a interrogé M. Powell au sujet de l’obstination de l’inflation du marché de l’habitation. Il a réfléchi et a déclaré que le marché de l’habitation est touché par un certain nombre de facteurs uniques, y compris les déséquilibres structurels. Pour cette raison, il a déclaré qu’il faudra peut-être plus de temps avant que l’inflation du marché de l’habitation diminue, mais il est convaincu qu’elle se normalisera au fil du temps.
  • M. Powell a réitéré sa confiance que l’inflation atteindra la cible de la Fed et que sa patience a porté ses fruits.
  • M. Powell a clairement indiqué que cette décision n’était pas une baisse de taux en crise, mais plutôt une normalisation de la politique monétaire à partir d’un niveau très restrictif.
  • M. Powell est resté sur ses positions tout au long de la conférence de presse, réitérant sa vision positive de l’économie américaine et son désir de la maintenir ainsi. L’expression « politique de rajustement » a été répétée à plusieurs reprises. Il a souligné que la Fed est déterminée à obtenir de bons résultats.

Le terme du jour de M. Powell est « rajustement ». Cela remplace le terme « en fonction des données » et avant celui de « transitoire » dans le lexique de la Réserve fédérale. Il s’agit de reconnaître que la politique monétaire a dû changer pour tenir compte d’un changement de conditions. Mais quelles conditions? Le gouverneur de la Fed, Chris Waller, a tenté de rassurer les investisseurs en affirmant qu’il s’agissait de progrès en matière de désinflation; il a indiqué que l’indice des prix des dépenses personnelles de consommation (DPC) « s’affaiblissait beaucoup plus rapidement [qu’il] ne le [pensait] », ce « qui [lui] fait dire que 50 (points de base) est la bonne chose à faire2 ». Toutefois, les marchés ne semblent pas entièrement convaincus, d’autant plus que M. Powell a fait part de ses préoccupations quant au maintien de la santé du marché de l’emploi pour expliquer la décision de la Fed.

La Banque d’Angleterre et la Banque du Japon demeurent stables

Alors que la Fed était occupée à amorcer son cycle d’assouplissement par une réduction colossale, la Banque d’Angleterre a décidé la semaine dernière de maintenir les taux tels quels, après avoir commencé son cycle d’assouplissement le mois dernier par une réduction normale.

La Banque du Japon a également maintenu les taux inchangés la semaine dernière, refusant de procéder à de nouvelles hausses après les turbulences du marché le mois dernier. Kazuo Ueda, gouverneur de la Banque du Japon, a expliqué la nécessité de marquer une pause : « Les perspectives de développement économique à l’étranger sont très incertaines. Les marchés demeurent instables. Nous devons examiner attentivement de tels événements pour l’instant3. »

De plus, la semaine dernière, Norges Bank a décidé de reporter le début de son cycle d’assouplissement, tandis que la Banque du Brésil a décidé de relever les taux, craignant que son économie s’accélère.

Comment la situation va-t-elle évoluer?

La plupart des économies développées occidentales ont commencé à assouplir leur politique monétaire ou le feront bientôt. Le début des mesures d’assouplissement de la Fed est essentiel pour accroître le contexte expansionniste de la politique monétaire qui commence dans une grande partie du monde. Cela crée un climat expansionniste qui favorise habituellement les actifs risqués. Toutefois, le rendement des catégories d’actif au cours des prochains mois dépendra probablement de la capacité des marchés à penser que les États-Unis et d’autres grandes économies pourront éviter une récession et connaître une réaccélération économique.

La Fed peut-elle éviter une récession aux États-Unis?

Les craintes de récession sont légitimes. La politique monétaire a été très restrictive pendant un certain temps. FedEx, l’un des titres vedettes qui peuvent nous donner un aperçu de l’état de l’économie, a récemment revu à la baisse ses attentes. L’enquête sur l’indice des directeurs d’achats de S&P Global pour les États-Unis montre que le secteur manufacturier s’est contracté davantage.

Toutefois, je fais partie des gens qui croient que les États-Unis éviteront une récession. L’indice Citigroup US Economic Surprise, bien qu’il soit toujours en territoire négatif, a fortement progressé depuis la fin d’août. Les écarts de taux donnent à penser qu’une récession n’est pas à venir. L’écart de taux ajusté en fonction des options sur obligations américaines à rendement élevé d’ICE Bank of America a récemment atteint un sommet de 3,93 % le 5 août4. Depuis le 10 septembre, il a considérablement diminué, pour s’établir à 3,1 % le 19 septembre5. Il s’agit d’un niveau très bas par rapport aux données historiques. Cela me dit que la Fed n’est pas loin derrière la courbe et que sa réduction de 50 points de base a accru la confiance que les États-Unis devraient éviter une récession6. De plus, l’indice S&P Global US Services PMI demeure solide.

Leçons tirées des années 1990

À titre d’étude de cas sur la façon dont cela pourrait se dérouler, j’ai déjà écrit au sujet de la stratégie de 1995-1996 et je le fais de nouveau aujourd’hui parce que je trouve cela très instructif – c’était la dernière fois que la Fed s’est resserrée et a réussi à éviter une récession. À titre de rappel :

  • Hausse des cours des actions. L’indice S&P 500 a progressé de 11,32 % au cours des six mois qui ont suivi le début des mesures d’assouplissement de la Fed7.
  • Rendement supérieur pour les actions de sociétés à grande capitalisation. Du point de vue de la capitalisation, les actions de sociétés à petite capitalisation ont inscrit un rendement légèrement inférieur à celui des actions à grande capitalisation au cours de ces six mois. L’indice Russell 2000 a progressé de 9,05 %, comparativement au rendement de 11,46 % de l’indice Russell 10007.
  • Rendements supérieurs pour les actions de valeur. Pour ce qui est des styles de placement, pendant les six mois qui ont suivi le début de l’abaissement des taux par la Fed, le style de placement axé sur la valeur a légèrement surpassé celui axé sur la croissance; l’indice de valeur Russell 3000 a progressé de 12,0 %, comparativement à 10,48 % pour l’indice de croissance Russell 30007. Les actions de sociétés à grande capitalisation ont également suivi ce modèle; au cours de cette période de six mois, l’indice de croissance Russell 1000 a progressé de 10,66 % (rendement des cours) tandis que l’indice de valeur Russell 1000 a progressé de 12,31 %7.
  • Le secteur de la santé en tête. Pour ce qui est du rendement sectoriel au cours des six premiers mois du cycle d’assouplissement de la Fed en 1995, le secteur de la santé a été le plus performant du S&P 500 avec un rendement de 26,06 % au cours de la période.7 Un certain nombre de secteurs du S&P 500, notamment ceux de l’énergie, de l’industrie, des services financiers, des services aux collectivités et des biens de consommation de base, ont affiché un rendement à deux chiffres pour cette période. Toutefois, le secteur de la consommation discrétionnaire a inscrit un faible gain de 2,91 % et celui des matériaux a stagné7.
  • Les actions internationales à la traîne. Les actions européennes et britanniques ont fortement progressé, mais ont été légèrement devancées par les actions américaines. L’indice STOXX Europe 600 a progressé de 10,05 % et l’indice FTSE 100 de 9,33 % au cours de la période de six mois7. Par contre, les actions des marchés émergents ont inscrit les rendements les plus faibles, enregistrant une perte modérée au cours de la période, bien qu’elle soit imputable à des problèmes propres à certains pays, comme la crise du peso mexicain.
  • De bons rendements pour les obligations. L’indice Bloomberg US Aggregate Total Return a progressé de 5,28 % et l’indice Bloomberg High Yield Total Return de 6,02 % au cours des six mois qui ont suivi le début des mesures d’assouplissement de la Fed7.
  • Le secteur de l’immobilier a progressé. L’indice FTSE NAREIT a progressé de 6,89 % au cours de cette période de six mois7.
  • Le dollar américain a pris de la valeur. L’indice du dollar américain a commencé à se renforcer à l’été 1995, lorsque la Fed a commencé à réduire ses taux. Cette situation peut sembler surprenante, mais elle fait suite à une forte baisse du dollar au début de l’année 1995 en raison de la crise du peso mexicain. Le renforcement du dollar, qui a commencé plus tard cette année-là, correspond probablement à un retour à la normale lorsque la crise a commencé à se résorber.
  • L’or a inscrit de modestes gains. Le cours au comptant de l’or a augmenté de 2,88 % lors des six premiers mois suivant le début des mesures d’assouplissement de la Fed, puis a reculé de plus de 3,5 % pendant les six mois suivants7.

Comment cela se compare-t-il à la situation actuelle?

Les conditions économiques étaient donc différentes en 1995; le taux de chômage était plus élevé qu’aujourd’hui et les consommateurs moins résilients. Par conséquent, même si le resserrement a été plus énergique au cours du dernier cycle de la Fed, avec des relèvements de taux de 525 points de base en 2022 et 2023, comparativement à 300 points de base en 1994 et 1995, l’économie d’aujourd’hui a été plus en mesure de résister à la pression. De plus, les attentes à l’égard des réductions de taux sont très différentes aujourd’hui; on s’attend à des réductions de 150 points de base d’ici la fin de 20258 – et peut-être beaucoup plus, compte tenu des commentaires d’Austan Goolsbee, président de la Fed de Chicago, selon lesquels il s’attend à beaucoup plus au cours de la prochaine année, ce qui devrait stimuler beaucoup plus les actifs risqués au cours des prochains mois que les faibles réductions de 75 points de base décrétées par la Fed de juillet 1995 à janvier 1996.

Je m’attends à ce que le Canada, le Royaume-Uni et la zone euro évitent également une récession. Les données ne sont pas toutes positives, mais je crois toujours que la croissance des salaires réels et l’assouplissement monétaire peuvent contribuer à une réaccélération prochaine du ralentissement des économies. Malgré le récent affaiblissement de la zone euro, l’écart ajusté en fonction des options de l’indice ICE Bank of America Euro High Yield est relativement faible, ce qui donne à penser que l’économie évitera une récession. Selon les données, ces économies obtiennent les politiques dont elles ont besoin en fonction de leurs conditions économiques respectives.

Les marchés font face à un océan d’incertitude

Toutefois, malgré une politique monétaire expansionniste, les marchés nageront dans l’incertitude au cours des prochains mois. Il y a l’élection présidentielle américaine du 5 novembre et la possibilité très réelle d’une paralysie du gouvernement américain en décembre. Le Royaume-Uni attend avec nervosité la publication du budget le mois prochain, après avoir été averti par le nouveau gouvernement travailliste que la situation financière est plus désastreuse que prévu. (En fait, l’indicateur de confiance des consommateurs de GfK au Royaume-Uni est passé de -13 en août et en juillet à -20 en septembre, et il se situe maintenant à son plus bas niveau en six mois, le budget de l’automne semblant être la cause de cette baisse9.)  Il y a une incertitude politique importante dans la zone euro et même au Canada; il ne faut pas oublier non plus qu’un nouveau dirigeant doit bientôt être choisi au Japon. De plus, le Moyen-Orient se dirige vers une guerre généralisée, après une grave escalade des hostilités la semaine dernière. Parallèlement, nous avons observé une escalade des hostilités dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Ajoutons à cela l’incertitude quant au moment et à l’ampleur des réductions des banques centrales, et nous avons une recette pour accroître la volatilité au cours des prochains mois.

À mon avis, plus que jamais, le moment est venu de diversifier les placements. Oui, je crois que les actions devraient bien se comporter, mais je m’attends à une volatilité importante compte tenu de toute l’imprévisibilité à court terme. Je privilégie donc les placements dans diverses sous-catégories de titres à revenu fixe, comme les titres de créance de qualité investissement, les obligations à rendement élevé et les obligations municipales, qui pourraient profiter de la solide conjoncture économique et de la baisse des taux. Je privilégie également les placements non traditionnels, qui peuvent offrir des avantages de diversification grâce à des corrélations plus faibles avec les actions et les obligations traditionnelles. Des secteurs comme l’immobilier offrent un revenu et un potentiel de hausse à mesure que les taux baissent. L’or peut servir de couverture contre le risque géopolitique et les budgets des gouvernements qui sont de plus en plus serrés. Alors que nous nous préparons pour les prochains mois, la meilleure approche pourrait être de rester calme, de rester diversifié et de chercher des occasions d’erreurs de prix.

Notes de bas de page

  • 1

    Source : Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine, 18 sept. 2024.

  • 2

    Source : Reuters, US inflation data nted big cut for one Fed official, dissent for another, 20 sept. 2024.

  • 3

    Source : Reuters, BOJ Governor Ueda's comments at news conference, 20 sept. 2024.

  • 4

    Source : Bloomberg, L.P., au 23 sept. 2024.

  • 5

    Source : Bloomberg, L.P., au 23 sept. 2024.

  • 6

    Source : St. Louis Fed Research Department, au 20 sept.2024.

  • 7

    Source : Bloomberg, L.P., au 23 sept. 2024. Les données représentent le rendement du 6 juillet 1995 au 5 janvier 1996, soit les six premiers mois suivant le début de l’assouplissement de la Fed le 6 juillet 1995.

  • 8

    Source : Résumé du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale américaine sur les projections économiques, 18 sept. 2024. 

  • 9

    Source : Bloomberg, L.P., au 23 sept. 2024.