Le début de l'année 2024 a été morose. Deux guerres font rage et le nombre de morts est préoccupant, notamment parce qu’on compte de nombreux civils parmi les victimes. Des navires commerciaux sur la mer Rouge ont été attaqués par des rebelles houthis, ce qui a incité les Américains et les Britanniques à effectuer des frappes sur des cibles houthies et des rapports font état de tirs de missiles sur des navires militaires américains. Trois militaires américains viennent d’être tués tragiquement lors d’une attaque contre un avant-poste américain en Jordanie, ce qui accroît la probabilité que d’autres pays prennent part directement à la guerre entre Israël et le Hamas. En outre, on craint que d’importantes élections dans des grandes puissances mondiales accentuent l’incertitude géopolitique. Étant donné qu’on me pose énormément de questions sur l’état de l’économie compte tenu de ces événements mondiaux, j'ai cru bon de partager avec vous quelques raisons de voir l'économie mondiale sous un jour plus favorable.
La désinflation se poursuit aux États-Unis
En décembre, l’indice des prix des dépenses de consommation personnelle de base, mesure d’inflation de prédilection de la Réserve fédérale américaine (Fed), est passé sous la barre des 3 % sur douze mois, soit le taux le plus bas depuis mars 2021.1 Cela donne une idée des progrès très importants accomplis dans la maîtrise de l’inflation aux États-Unis. Le processus de désinflation est laborieux et peut inclure des données décevantes, mais la réalité est que la Fed continue de se rapprocher de sa cible d’inflation de 2 %. Nous sommes toujours dans le « train D ».
La croissance aux États-Unis étonne par sa vigueur
Le premier rapport sur le produit intérieur brut des États-Unis pour le quatrième trimestre a dépassé les attentes, avec un taux annualisé de 3,3 % par rapport au 2,0 % attendu, même s’il est inférieur au taux annualisé de 4,9 % enregistré au troisième trimestre.2 De plus, l’indice préliminaire manufacturier S&P Global des gestionnaires en approvisionnement (PMI) est passé en zone d’expansion pour la première fois depuis avril 2023 et a atteint son plus haut niveau depuis octobre 2022. L’indice PMI du secteur tertiaire a lui aussi dépassé les attentes.3 Et les commandes de biens durables, excluant le transport, ont largement dépassé les attentes en décembre.
Certains pourraient penser qu’il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle, car cela remet en doute l’idée que la Fed pourrait commencer à procéder à des baisses de taux en mars. Selon moi, il n’y a rien de mal à supposer que la Fed n’abaissera pas son taux directeur en mars, mais je suis assez confiante qu’elle amorcera des baisses de taux au deuxième trimestre et je m’attends à ce qu’elle le fasse de manière substantielle en 2024.
Certains observateurs de la Fed semblent d’avis qu’elle ne procédera pas à des baisses de taux avant un certain temps en raison de la résilience de l’économie américaine. Or, comme je l’ai déjà dit, il n’est pas nécessaire que la croissance économique soit faible pour que la Fed commence à réduire ses taux; il suffit que la désinflation progresse de manière satisfaisante. Je me dois de vous rappeler les propos du gouverneur de la Fed, Chris Waller, en novembre dernier : « Je suis de plus en plus convaincu que la politique monétaire est en voie de ralentir l’économie et de ramener l’inflation à 2 %... » M. Waller a précisé que si la baisse de l’inflation se poursuivait « pendant encore plusieurs mois... trois mois, quatre mois, cinq mois... nous pourrions commencer à abaisser le taux directeur simplement parce que l’inflation est plus faible. Cela n’a rien à voir avec une tentative de sauvetage de l’économie. C’est conforme à toutes les règles de politique monétaire. Il n’y a aucune raison de dire que nous allons le maintenir à un niveau très élevé. »4
On note des signes d’amélioration dans la zone euro
Selon les plus récentes données préliminaires de l’indice PMI de la zone euro, l’indice PMI manufacturier s’est hissé à 46,6 points, un nouveau sommet en 10 mois.5 Bien que cela signifie simplement que le déclin du secteur manufacturier s’atténue, cela me satisfait. De plus, l’indice PMI manufacturier de l’Allemagne, bien que toujours faible, est à son plus haut niveau en huit mois.5 Peut-être plus important encore, le sondage nous montre que l’optimisme des entreprises de la zone euro à l’égard de la prochaine année s’est amélioré pour un quatrième mois consécutif en janvier et est à son plus haut niveau depuis mai dernier.
Comme l’explique Dr Cyrus de la Rubia, économiste en chef à la Hamburg Commercial Bank, qui mène le sondage PMI : « Le début de l’année est porteur de bonnes nouvelles pour la zone euro, car le secteur manufacturier connaît un ralentissement généralisé de la trajectoire descendante observée au cours de la dernière année. Ce changement positif est évident si l’on se fie aux indicateurs clés tels que la production, l’emploi et les nouvelles commandes. Fait à noter, le secteur des exportations joue un rôle essentiel dans l’amélioration de ces données, car il affiche de meilleures conditions par rapport à la fin de l’année précédente ».6 Cela signifie que l’atterrissage en dents de scie que nous prévoyons au cours des prochains mois devrait être un peu moins brutal que prévu.
Les perturbations du transport maritime sur la mer Rouge ont eu un impact modéré sur l'économie
Du point de vue économique, les perturbations du transport maritime sur la mer Rouge ne sont pas aussi importantes qu’on pourrait le penser. La semaine dernière, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a fait remarquer que, même si le prolongement du conflit dans la région entraînerait des risques supplémentaires pour le transport maritime et les prix de l’énergie et des produits de base, l’impact inflationniste des problèmes de transport de marchandises sur la mer Rouge a été relativement faible jusqu’à présent : « ...nous observons la situation très attentivement parce que nous voyons ce que vous observez tous, c’est-à-dire que les coûts de transport augmentent, les retards de livraison se prolongent et, bien que nous sachions tous qu’il y a plus de capacité d’expédition qu’en 2020 et 2021, nous savons aussi que les coûts et les frais augmentent. Je crois que la plupart des observateurs s’accordent à dire que l’impact est modéré. Le pourcentage des coûts de transport maritime représente un peu plus de 1,5 % du coût total des intrants ».7
De même, dans le sondage qui a servi à compiler l’indice préliminaire PMI de la zone euro S&P Global/HCOB, on note que l’impact sur les chaînes d’approvisionnement a certes été négatif, mais pas autant qu’on aurait pu s’y attendre : « Les attaques persistantes des rebelles houthis contre les navires commerciaux qui naviguent sur la mer Rouge ont un impact perceptible sur les chaînes d’approvisionnement... Néanmoins, divers rapports sectoriels indiquent que les entreprises ne sont pas prises au dépourvu comme elles l’ont été par le passé, car elles ont tiré des leçons des perturbations antérieures. Nombre d’entre elles ont diversifié de manière proactive leurs fournisseurs à travers le monde et leurs activités commerciales, ce qui atténue les retombées potentielles de ces difficultés imprévues ».8
Il semble que nous soyons en train d’assister à quelque chose qui n’est pas très éloigné du concept économique de « destruction créatrice ». Compte tenu des transformations et modifications apportées aux chaînes d’approvisionnement en réaction aux vulnérabilités liées à la COVID, les entreprises sont mieux préparées à relever la menace que représentent les attaques sur les chaînes d’approvisionnement sur la mer Rouge.
Le taux d’inflation de la zone euro a baissé
Certains ont été déçus par la réunion de la BCE de la semaine dernière en raison de ce qu’ils considèrent comme du « jargonnage » plus belliciste des banques centrales. Toutefois, l’évaluation de l’inflation par la BCE ne m’inquiète pas : « Presque tous les paramètres d’inflation sous-jacente ont encore reculé en décembre. Le taux élevé d’augmentation des salaires et la baisse de productivité de la main-d’œuvre maintiennent les pressions sur les prix intérieurs à un niveau élevé, bien qu’elles aient aussi commencé à s’atténuer. Parallèlement, la baisse des profits unitaires a commencé à modérer les retombées inflationnistes de la hausse des coûts unitaires de main-d’œuvre. Les indicateurs des anticipations d’inflation à plus court terme ont nettement diminué, tandis que ceux des anticipations d’inflation à plus long terme se situent pour la plupart autour de 2 % ».9
À mon avis, la BCE semble cocher toutes les cases les plus importantes. Je ne m’attends pas à ce qu’elle abaisse ses taux avant la Fed, mais à ce qu’elle commence à le faire peu de temps après, ce qui devrait suffire à garantir que les taux ne resteront pas plus élevés pendant très longtemps.
La Chine sur le point d'adopter des mesures de relance tant attendues
Nous attendons depuis longtemps une intensification des mesures de relance en Chine, qui pourrait jouer un rôle décisif dans le rendement du marché en 2024. Plusieurs annonces faites la semaine dernière nous permettent d'être plus optimistes à l’égard des actions chinoises en 2024.
- La Banque populaire de Chine a annoncé qu’elle allait réduire le coefficient de réserves-encaisse des prêteurs chinois dès le 5 février. Cette décision, qui a été prise en réaction à la faible croissance du crédit, pourrait avoir un effet d’entraînement et améliorer la confiance des investisseurs.
- Les autorités réglementaires chinoises ont annoncé des restrictions sur la vente à découvert d’actions chinoises, signe que les autorités monétaires sont déterminées à sortir les marchés boursiers chinois de leur torpeur. Étant donné que les valorisations se situent à des niveaux historiquement bas, de telles mesures pourraient agir comme un puissant catalyseur.
- En outre, Bloomberg a rapporté que les autorités chinoises envisagent de lancer un programme d’achat d’actions d’une valeur de 278 milliards de dollars, dans une démarche similaire au programme de soutien à l’achat d’actions instauré en 2015.
Efforts de lutte contre l'inflation au Japon
Bien que les économies développées occidentales fassent tout pour maîtriser l’inflation, le Japon souhaite maintenir des niveaux d’inflation modérément plus élevés après avoir été coincé dans une conjoncture stagnante de faible croissance, de faible inflation et de faibles taux pendant des décennies. Les négociations salariales annuelles du printemps, appelées « shunto » ou offensive du printemps, sont considérées comme essentielles pour atteindre cet objectif. Nous espérons sincèrement que les négociations de cette année, qui viennent de commencer, déboucheront sur les plus fortes augmentations de salaire depuis des décennies. Si tel était le cas, ce serait excellent pour l’économie japonaise.
Voici ce que nous allons surveiller
Les sept éléments énumérés ci-dessus expliquent peut-être, du moins en partie, pourquoi les actifs à risque se sont bien comportés ces dernières semaines, malgré le mur d’inquiétude. Certains événements qui auront lieu cette semaine devraient être déterminants pour les marchés : certains géants des technologies (Microsoft, Meta, Apple, Alphabet et Amazon) vont dévoiler leurs résultats pour le quatrième trimestre, nous aurons un aperçu du plus récent rapport sur l’emploi aux États-Unis, de même qu’une estimation préliminaire de l’inflation dans la zone euro et la décision de la Banque d’Angleterre.
Et, bien sûr, le Federal Open Market Committee (FOMC) se réunira cette semaine pour nous donner, sur les ondes de nos télés, des indications sur les intentions de la Fed et le moment où elle pourrait commencer à réduire son taux directeur. (Suivez-moi @kristinahooper on X, autrefois appelé Twitter, alors que je vous ferai part de mes réactions en direct à la réunion de la Fed.)