Marchés et économie

Relier les points : Les marchés réagissent aux révisions bellicistes des projections de taux d'intérêt de la Fed

Relier les points : Les marchés réagissent aux révisions bellicistes des projections de taux d'intérêt de la Fed
Points importants à retenir
Réserve fédérale américaine
1

Après une pause belliciste, le moindre point de donnée économique meilleur que prévu aux États-Unis pourrait amplifier les craintes d’une augmentation du taux des fonds fédéraux en 2024.

Banque d’Angleterre
2

L'inflation plus faible que prévu au Royaume-Uni a conduit à une pause quelque peu surprenante de la part de la Banque d'Angleterre la semaine dernière, après 14 hausses de taux d'intérêt consécutives.

Banque du Japon
3

Sans surprise, la Banque du Japon a laissé sa politique inchangée la semaine dernière. Elle a fait remarquer que la croissance des salaires est le facteur le plus important pour jauger la trajectoire de l'inflation.

Mardi dernier, je me suis rendue à Houston pour faire un exposé devant un groupe de professionnels des services financiers. Je me suis bien amusée, mais je ne suis pas sûre de pouvoir en dire autant de mon auditoire. Je dirais que c’est parce que j’ai passé beaucoup de temps à parler des banques centrales. Je me sentais un peu coupable, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Après tout, comme la politique monétaire continue d’avoir un impact considérable sur les marchés, je crois qu’il faut leur accorder suffisamment de place.

La Réserve fédérale américaine a révisé son graphique à points ou « dot plot »

Ma légère obsession pour les banques centrales s’est avérée justifiée mercredi dernier lorsque les marchés ont réagi fortement à la « pause belliciste » de la Réserve fédérale américaine (Fed). Plus précisément, les marchés ont réévalué les cours des actifs en se ralliant à l’idée que les taux vont probablement demeurer « plus élevés pendant un certain temps encore ».

Les marchés sont arrivés à cette conclusion en se fiant en grande partie aux données du résumé des projections économiques (Summary of Economic Projections ou SEP en anglais), mieux connu sous le nom de « dot plot » (ou graphique à points), qui est publié chaque trimestre. Le graphique à points de juin 2023 prévoyait que le taux des fonds fédéraux s’élèverait à 4,6 % à la fin de 2024, ce qui sous-entendait que la Fed procéderait à quatre baisses de taux, mais celui de septembre 2023 a relevé cette prévision à 5,1 %, ce qui laisse présager seulement deux baisses de taux en 2024.1 Il s’agit là d’un changement majeur.

Le graphique de septembre renferme plusieurs autres changements dignes de mention par rapport à celui de juin1 :

  • La projection des dépenses de consommation personnelle (DCP) a été révisée en forte baisse. La prévision de fin d’année des DCP de base était de 3,9 % dans le graphique de juin et elle est maintenant de 3,7 %.
  • Les prévisions de croissance ont été revues à la hausse de manière significative pour 2023, passant de 1 % en juin à 2,1 % en septembre. La croissance a également été revue à la hausse pour 2024, passant de 1,1 à 1,5 %.
  • Les projections en matière de chômage ont été revues en forte baisse. Celles pour la fin de l’année 2023 sont passées de 4,1 % dans le graphique de juin à 3,8 %. L’écart est encore plus grand en ce qui concerne la projection pour la fin de 2024, qui est passée de 4,5 % en juin à 4,1 % dans le plus récent graphique.                          
  • La Fed s’attend toujours à ce que l’inflation de base s’établisse à 2,6 % d’ici à la fin de 2024. Elle s’attend aussi à ce qu’elle revienne à sa cible de 2 % d’ici 2026.
  • La Fed a conservé ses prévisions d’une autre hausse de taux cette année (même si beaucoup espéraient que cette prévision soit modifiée dans le graphique de septembre).

Les marchés ont réagi de manière assez viscérale à la modification des prévisions de baisses de taux d’intérêt de la Fed pour l’an prochain. Les cours boursiers ont chuté partout dans le monde et les taux des bons du Trésor américain à 2 et à 10 ans se sont hissés à de nouveaux sommets pour le cycle, du jamais vu en plus de 15 ans.2

Les projections ne sont pas des promesses

Je ne peux m’empêcher de prendre le graphique avec un grain de sel pour diverses raisons. Je tiens à préciser que le graphique représente simplement la politique préconisée par chacun des membres du Federal Open Market Committee (FOMC). Il n’est rendu public que depuis 2012 (soit plusieurs années après la dernière fois où les taux des bons du Trésor américain à 2 et à 10 ans ont atteint des seuils qui ont finalement refait surface la semaine dernière) et ce, dans le but d’accroître la transparence et de mieux guider les attentes du marché. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, le principal renseignement qu’on pouvait obtenir de la Fed avant une décision de politique monétaire était la taille de la mallette d’Alan Greenspan. Cependant, comme beaucoup d’outils créés avec les meilleures intentions du monde, le graphique a de nombreux défauts. Il repose en grande partie sur des conjectures de la part des membres du FOMC (n’oubliez pas, et je cite M. Powell, que « nous naviguons à la lueur des étoiles sous un ciel nuageux »3). De plus, les projections sont parfois très peu fiables, surtout lorsqu’elles sont très éloignées dans le temps.

Par exemple, le graphique de décembre 2021 estimait le taux médian des fonds fédéraux à 90 points de base en décembre 2022. En décembre 2022, le taux des fonds fédéraux se situait en fait dans la fourchette de 4,25 à 4,5 %, soit près de 350 points de base de plus que les prévisions de la Fed un an auparavant. J’ai accroché au mur de mon bureau une copie du graphique du taux des fonds fédéraux de décembre 2021 pour me rappeler de toujours demeurer sceptique à l’égard des données du résumé des projections économiques. Je suis donc sceptique et ce, à juste titre.

L’élément le plus important à retenir est qu’ultimement, la trajectoire du taux des fonds fédéraux sera dictée par les données. La Fed ignore ce que les données diront, si bien qu’il est impossible de savoir quand elle abaissera le taux des fonds fédéraux et de combien. Autrement dit, le résumé des projections économiques n’est pas une boule de cristal et, par conséquent, ne justifie pas, à mon avis, la réaction du marché à laquelle nous avons assisté.

La Banque d’Angleterre surprend en décidant de marquer une pause

D’autres décisions importantes ont été prises par les banques centrales la semaine dernière. Étonnamment, la Banque d’Angleterre a décidé d’interrompre les hausses de taux après 14 hausses consécutives.

Les données sur l’inflation inférieures aux prévisions semblent avoir fait pencher la balance en faveur du maintien du taux actuel. L’indice des prix à la consommation (IPC) du Royaume-Uni pour le mois d’août a augmenté de 0,3 % sur un mois, alors que les prévisions se chiffraient à 0,7 %, et de 6,7 % en glissement annuel, en baisse par rapport à 6,8 % en juillet. L’IPC de base a lui aussi reculé de manière significative, à 6,19 % en glissement annuel, contre 6,83 % en juillet.4

La forte baisse du taux d’inflation global en glissement mensuel et le déclin continu du taux d’inflation de base (qui semble avoir plafonné à 7,14 % en glissement annuel selon les données d’avril4) suggèrent que les efforts de désinflation de la Banque d’Angleterre commencent enfin à donner des résultats.

Le procès-verbal de la réunion de la Banque d’Angleterre cite le relâchement du marché du travail et le ralentissement de l’activité parmi les autres raisons de marquer une pause. Par exemple, le procès-verbal nous apprend que le comité de la politique monétaire (CPM) de la Banque d’Angleterre est d’avis que « la croissance sous-jacente pendant la deuxième moitié de 2023 sera... probablement plus faible que prévu ». Il importe aussi de noter que le CPM n’a pas interrompu son resserrement quantitatif. En fait, il a voté à l’unanimité en faveur d’accentuer le rythme du resserrement quantitatif à 100 milliards de livres de gilts au cours de la prochaine année, par rapport aux 80 milliards de livres actuels, ce qui représente environ 10 % de ses actifs.

La Banque du Japon laisse sa politique inchangée, comme prévu

Sans grande surprise, la Banque du Japon (BdJ) a laissé sa politique inchangée à sa réunion sur la politique monétaire de la semaine dernière. Dans sa déclaration, la BdJ indique que ses perspectives à l’égard de l’économie et de l’inflation n’ont pas changé. À sa conférence de presse, le gouverneur Kazuo Ueda a parlé sur un ton accommodant et expliqué que la BdJ n’a pas encore atteint le point où elle peut s’attendre à ce que le taux d’inflation se maintienne à 2 %, étant donné le degré élevé d’incertitude qui plane sur l’économie et les marchés financiers et les politiques d’établissement des prix des entreprises.

Il n’a donné aucune indication sur le calendrier et la séquence du resserrement de la politique monétaire, car tout dépendra de la croissance économique et de l’inflation. Il a déclaré que la BdJ va surveiller de près l’écart de production, les anticipations d’inflation et la croissance des salaires pour formuler ses perspectives d’inflation, mais a laissé entendre que la croissance des salaires est le facteur le plus important pour déterminer si le Japon est bel et bien sur la voie d’une inflation durable à 2 %. Entre temps, la politique monétaire de la BdJ demeure extrêmement accommodante.

La Banque populaire de Chine va probablement continuer d’assouplir sa politique monétaire

Enfin, la Banque populaire de Chine (PBC) va probablement continuer d’assouplir sa politique monétaire, mais cette décision sera sans doute éclipsée par sa politique budgétaire ciblée. Le renminbi a été sous pression principalement en raison des différentiels de taux d’intérêt : la PBC a assoupli sa politique monétaire alors que la Fed et d’autres banques centrales l’ont resserrée. De plus, les marchés sont désormais exagérément pessimistes à l’égard des perspectives de croissance de la Chine, convaincus qu’une dépréciation de la devise pourrait s’avérer nécessaire.

L’incertitude à l’égard de la politique monétaire demeure un enjeu

J’anticipe une recrudescence de volatilité à court terme. La volatilité découle très souvent de l’incertitude à l’égard de la politique monétaire, laquelle est encore plus incertaine aujourd’hui qu’elle ne l’était la semaine dernière.

En effet, si l’on remonte au mois de juin, on constate que les attentes du marché concernant le taux des fonds fédéraux à la fin de 2024 étaient bien inférieures au graphique de juin du FOMC. Toutefois, les attentes du marché ont évolué ces derniers mois et atteint le seuil de la courbe de juin avant la publication de la courbe de septembre. Par conséquent, je m’attends à ce que le marché demeure plutôt volatil à court terme, car le moindre point de donnée économique meilleur que prévu aux États-Unis pourrait amplifier les craintes d’une augmentation du taux des fonds fédéraux en 2024 et d’une augmentation encore plus élevée à plus long terme. Cette crainte est amplifiée par le fait que le taux des bons du Trésor américain à 10 ans pourrait augmenter autant que celui du taux des fonds fédéraux, ce qui s’est déjà produit au cours de cycles de resserrement antérieurs. À mon avis, le seul moyen d’apaiser cette crainte serait une réelle diminution de l’inflation et un ralentissement de la croissance économique aux États-Unis.

Et il n’y a pas que l’incertitude liée à la politique monétaire. La paralysie imminente des services publics américains, la grève du syndicat des Travailleurs unis de l’automobile (United Auto Workers) et la reprise du remboursement des prêts étudiants ajoutent à l’incertitude et pourraient accroître la volatilité à très court terme, même si je doute que cela ait un impact majeur sur les marchés. Je m’attends aussi à une plus grande agitation des marchés car, si les taux d’intérêt américains restent effectivement « plus élevés pendant plus longtemps », cela pourrait accroître le risque que la Fed augmente trop les taux d’intérêt et même plonger l’économie américaine en récession. De plus, des taux plus élevés exercent généralement une pression à la baisse sur les cours boursiers, en particulier dans des secteurs tels que les technologies de l’information. Nous en avons eu un avant-goût ces dernières semaines.

Si le plus récent graphique de la Fed est une réaction à l’amélioration des statistiques économiques, l’ironie est qu’il pourrait causer des dommages inutiles en raison des effets décalés de la politique monétaire. Aujourd’hui plus que jamais, il faut éviter de réagir de manière exagérée à ce graphique, mais aussi suivre de près chaque point de donnée. Pendant que nous attendons et observons la situation, les investisseurs peuvent au moins profiter des rendements plus élevés des titres à revenu fixe un peu partout dans le monde, phénomène que nous n’avons pas observé depuis des années…

Rédigé en collaboration avec Paul Jackson, Arnab Das, Tomo Kinoshita et Adam Burton

Notes de bas de page

  • 1

    Source : Réserve fédérale américaine, 20 septembre 2023

  • 2

    Source : Bloomberg L.P., 20 sept. 2023

  • 3

    Source : Allocution de Jerome Powell à Jackson Hole, 25 août 2023

  • 4

    Source : UK Office for National Statistics, 20 septembre 2023