Marchés et économie

Qu'arrive-t-il quand les répercussions des décisions des banques centrales deviennent claires?

Qu'arrive-t-il quand les répercussions des décisions des banques centrales deviennent claires?
Points importants à retenir
États-Unis
1

Les marchés réagissent rapidement à chaque donnée sans prendre le temps d’examiner la situation globale des États-Unis, qui traverse une période de ralentissement économique et de désinflation.

Canada
2

La Banque du Canada a décidé de jouer de prudence et choisi de faire une autre pause, puis a laissé entendre le lendemain que les taux ne sont peut-être pas assez élevés.

Zone euro
3

On craint que le resserrement marqué de la politique monétaire de la Banque centrale européenne ait trop ralenti la croissance économique.

L’idée que nos actions finissent toujours par nous rattraper me trotte dans la tête depuis quelque temps : Cela s’applique aussi à la parentalité, car l’éducation des enfants va se refléter dans leur personnalité. Par exemple, ma mère m’a aidée à m’occuper des enfants quand ils étaient jeunes et elle était « maniaque du ménage ». Ce n’est pas étonnant que mon plus vieux soit rapidement devenu obsédé par le ménage sous l’influence de ma mère. Il rangeait le Windex et les essuie-tout dans son coffre à jouets et essuyait les fenêtres des restaurants avec sa serviette de table.

Je ne peux pas m’empêcher de replacer cette idée dans le contexte économique. Après le resserrement marqué de la politique monétaire de certaines banques centrales, nous attendons de voir quand le plein impact de ces décisions deviendra clair. Les opinions diffèrent quant à ce qui se passera sur le plan de l’inflation et de la croissance et les marchés sont parfois nerveux quand ils ne savent pas à quoi s’attendre.

Quelques bonnes données font craindre des hausses de taux aux États-Unis

Aux États-Unis, une dynamique selon laquelle « une bonne nouvelle est une mauvaise nouvelle » s’est installée la semaine dernière, les statistiques économiques encourageantes ont suscité la crainte que la Réserve fédérale américaine (Fed) sente le besoin de procéder à d’autres hausses de taux :

  • Les premières inscriptions à l’assurance-chômage en août ont été inférieures aux prévisions, poursuivant la tendance à la baisse du nombre de premières inscriptions.1
  • L’indice ISM des gestionnaires en approvisionnement (PMI) du secteur tertiaire des États-Unis pour le mois d’août a agréablement surpris, augmentant de 1,8 point par rapport au mois de juillet, pour s’établir à 54,5 points. Le sous-indice des nouvelles commandes a été particulièrement vigoureux à 57,5 points et le sous-indice des prix a remonté à 58,9 points.2

D’autres rapports indiquent que la croissance économique aux États-Unis a été très faible cet été

Cependant, d’autres données suggèrent que l’économie américaine commence à tourner plus lentement :

  • L’indice PMI S&P Global du secteur tertiaire des États-Unis s’élevait à 50,5 points en août, soit la croissance la plus faible de l’activité du secteur tertiaire au cours des sept derniers mois.3
  • Les données du plus récent sondage sur les postes à pourvoir et le roulement de personnel (Job Openings and Labor Turnover Survey ou JOLTS), qui porte sur le mois de juillet 2023, font état de 8,8 millions de postes à combler aux États-Unis, ce qui ne correspond pas encore aux niveaux d’avant la pandémie, mais est nettement inférieur aux 11,4 millions de postes à pourvoir en juillet 2022.4 Les taux de départs sont en baisse et la participation de la population active est en hausse, ce qui laisse présumer que le marché du travail est en train de ralentir.
  • Fait plus important encore, à mon avis, la croissance des salaires diminue. L’annonce de Walmart la semaine dernière, selon laquelle les salaires de départ de certains postes de premier échelon seront inférieurs à ce qu’ils étaient auparavant, illustre bien le relâchement du marché du travail.

En outre, des données anecdotiques contenues dans le plus récent Livre beige de la Réserve fédérale américaine indiquent que la croissance économique aux États-Unis a été très faible cet été. Les consommateurs ont dépensé de manière plus sélective dans des domaines tels que les voyages, mais les autres dépenses de détail ont continué de diminuer, en particulier les dépenses non essentielles.

Certaines des personnes consultées dans le cadre du Livre beige ont même dit craindre que l’épargne des ménages soit épuisée et que les consommateurs doivent désormais emprunter pour soutenir leurs dépenses. La plupart des districts de la Réserve fédérale américaine ont signalé que les soldes des prêts à la consommation augmentent, tout comme les retards de paiement des lignes de crédit à la consommation.

Ma perception du marché du travail a été confirmée par le Livre Beige. La croissance de l’emploi est restée faible dans l’ensemble du pays. Plus important encore, presque tous les districts s’attendent à un ralentissement de la croissance des salaires à court terme. Mon opinion selon laquelle l’inflation globale va continuer à se modérer, quoique de manière imparfaite, a également été étayée par le Livre beige. La plupart des districts ont signalé un ralentissement de la hausse des prix, plus marqué dans le secteur manufacturier et celui des biens de consommation.

Tout n’est pas rose pour autant. Comme on pouvait s’y attendre compte tenu des récentes manchettes, plusieurs districts ont fait état d’une très forte augmentation des primes d’assurance-habitation. Il convient aussi de noter que quelques districts ont signalé que la croissance des prix des intrants n’a pas diminué autant que les prix de vente, ce qui a entraîné un rétrécissement des marges bénéficiaires dans ces districts.

De plus, il y a la possibilité d’une grève des Travailleurs unis de l’automobile, qui risque d’exercer pendant un certain temps une pression à la hausse sur l’inflation en perturbant les chaînes d’approvisionnement, ce qui pourrait avoir un plus gros impact sur les marchés déjà agités.

Les effets décalés de la politique monétaire compliquent la tâche de la Fed

En réalité, les banques centrales volent pour ainsi dire aux instruments en raison des effets décalés de la politique monétaire. En s’inspirant du poète qui sommeille en lui à Jackson Hole, le président du conseil de la Fed, Jay Powell, a décrit cette situation avec éloquence en disant ceci : « Nous naviguons à la lueur des étoiles sous un ciel nuageux ».

En raison de cette incertitude, les marchés réagissent rapidement à chaque donnée sans prendre le temps d’examiner la situation globale des États-Unis, qui traverse une période de ralentissement économique et de désinflation. Cela incite les investisseurs à émettre des hypothèses sur l’avenir en se basant seulement sur quelques données.

Je crois qu’il est important de prêter attention à une étude publiée la semaine dernière par des économistes de la Réserve fédérale de Chicago.5 Leur modèle indique que le resserrement qui a été effectué à ce jour devrait être suffisant pour ramener l’inflation près de la cible de la Fed d’ici le milieu de 2024, et ce, sans provoquer de récession.

Je suis d’accord avec cette évaluation et avec le fait que les États-Unis parviendront à éviter une récession (même si, comme je l’ai dit à maintes reprises, y compris la semaine dernière, il faut s’attendre à un atterrissage en dents de scie). Cette issue sera bien accueillie si elle se concrétise.

La Banque du Canada suspend son resserrement, mais pendant combien de temps?

L’impact économique du resserrement marqué de la politique monétaire de la Banque du Canada n’est pas très clair non plus. C’est la raison pour laquelle la Banque du Canada (BOC) a décidé de jouer de prudence en décrétant une nouvelle pause dans le resserrement de sa politique monétaire mercredi dernier.

Or, jeudi, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, s’est montré ferme dans son discours et est allé jusqu’à dire que les taux n’étaient peut-être pas assez élevés. C’était une transition parfaite vers la publication, vendredi, du rapport sur l’emploi au Canada, qui a révélé que le nombre d’emplois créés en août est beaucoup plus élevé que prévu.

M. Macklem, à l’instar de M. Powell, doit tenir un discours ferme pour mieux contenir l’inflation. Toutefois, je crois que la Banque du Canada n’aura pas à resserrer davantage sa politique monétaire.

L’Australie suspend ses hausses de taux, mais se tient prête à faire marche arrière

La Banque de réserve d’Australie a elle aussi décidé de faire une pause à sa réunion de la semaine dernière, car elle estime en avoir fait suffisamment pour ramener l’inflation à sa cible dans un délai raisonnable. Toutefois, elle a également reconnu l’incertitude entourant les perspectives et s’est engagée à poursuivre le resserrement si nécessaire.

Le gouverneur de la Banque de réserve d’Australie, Philip Lowe, semble vouloir se fier aux anticipations d’inflation. Comme il l’a expliqué dans une déclaration la semaine dernière : « ...si l’inflation élevée devait s’ancrer dans les attentes des gens, il serait très coûteux de la réduire par la suite, car cela se traduirait par des taux d’intérêt encore plus élevés et une hausse plus forte du taux de chômage. Jusqu’à présent, les anticipations d’inflation à moyen terme correspondent à la cible d’inflation et il est important que cela ne change pas... »6

Nous allons suivre de près les attentes, car elles vont probablement dicter l’évolution de l’inflation en Australie.

Le ralentissement de la croissance dans la zone euro pourrait entraîner une pause

Dans la zone euro, on craint que le resserrement de la politique monétaire ait été trop marqué, comme en témoignent les résultats des plus récents sondages PMI. Tous les regards seront tournés vers la réunion de la Banque centrale européenne (BCE) qui se tiendra plus tard cette semaine. On ignore si elle relèvera ou non ses taux, étant donné l’incertitude quant aux conséquences des hausses précédentes. Vu la détérioration rapide et prononcée des perspectives de croissance, il semble plus probable que la BCE opte pour la prudence et maintienne le statu quo à sa réunion de cette semaine, plutôt que de risquer de provoquer des conséquences négatives.

Le Japon va-t-il modifier sa politique monétaire accommodante?

En fin de semaine, le gouverneur de la Banque du Japon (BdJ), Kazuo Ueda, a parlé de sa politique monétaire ultra-accommodante, qui diffère passablement de celle des autres grandes banques centrales des pays industrialisés. Il a laissé entendre que la BdJ disposera de suffisamment de données d’ici la fin de 2023 pour décider si les salaires et les prix justifient un changement de cap. La croissance du produit intérieur brut a été forte récemment, mais M. Ueda attend d’autres signes avant de modifier sa politique. S’il juge que l’économie japonaise est en voie d’atteindre la cible d’inflation de la BdJ, il sera disposé à procéder à un léger resserrement. En attendant de voir l’impact de la politique monétaire sur l’inflation, ses propos ont contribué à l’appréciation du yen.

Conclusion : Les banques centrales ne sont pas près de cesser d’avoir un impact sur les marchés

En résumé, les banques centrales continuent d’avoir un impact considérable sur les marchés en raison des effets décalés de leurs politiques sur leurs économies respectives. Cela se répercute sur les marchés des changes, les marchés obligataires et les marchés boursiers.

Qu'est-ce que cela signifie pour les marchés à court terme?

Étant donné que la croissance s’améliore et que les probabilités de récession aux États-Unis diminuent, je crois que les secteurs cycliques tels que l’industrie, les matériaux et l’énergie, ainsi que les actions des sociétés à petite capitalisation, vont obtenir de meilleurs rendements à court terme. Ce sera d’autant plus vrai si le très important indice de base des prix à la consommation américain, qui sera rendu public plus tard cette semaine, confirme la thèse de la désinflation.

Même si la croissance a été plus ébranlée en Europe et au Royaume-Uni, les valeurs cycliques et les sociétés à petite capitalisation de ces régions pourraient tirer leur épingle du jeu, surtout si la croissance commence à s’améliorer. En outre, les valorisations des actions européennes et britanniques sont beaucoup plus attrayantes. La dépréciation du dollar américain devrait également favoriser les actions internationales, en particulier celles des marchés émergents, dont beaucoup ont bénéficié du contexte macroéconomique.

Sur les marchés des titres à revenu fixe, vu la « conjoncture favorable aux titres risqués », les obligations américaines à rendement élevé, les prêts bancaires et les titres de créance en devises fortes des marchés émergents nous semblent attrayants, compte tenu du contexte macroéconomique et de leurs rendements relatifs plus élevés.

À la lumière de tout ce qui précède, d’autres données pourraient produire le type de comportement du marché que nous avons observé la semaine dernière, soit une hausse des taux des bons du Trésor américain à long terme et une baisse des cours boursiers. Il faut s’attendre à ce que, certains jours, les marchés reflètent l’incertitude entourant le plein impact des décisions des banques centrales.

Notes de bas de page

  • 1

    Source : US Bureau of Labor Statistics, 7 sept. 2023

  • 2

    Source : Institute for Supply Management, 6 sept. 2023

  • 3

    Source : S&P Global, sept. 2023

  • 4

    Source : JOLTS Report (sondage sur les postes à pourvoir et le roulement de personnel), Bureau of Labor Statistics, 29 août 2023

  • 5

    Source : Lettre de la Réserve fédérale de Chicago, no 483, « Past and Future Effects of the Recent Monetary Policy Tightening » par Stefania D’Amico et Thomas King, sept. 2023

  • 6

    Source : Énoncé de la Banque de réserve d’Australie par Philip Lowe, gouverneur : décision quant à la politique monétaire, sept. 2023